LES SEPT BULLES (partie 5)

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Dans la quatrième bulle, je suis assise à une table sur la lune, et tu es là, toi aussi, ou du moins ton fantôme, assis en face de moi. Il fait très froid, nous grelottons. Nous buvons le thé avec le magicien, qui rit dans sa barbe.

Il porte un pyjama à rayures ridicule, et un bonnet de nuit troué qui sent la naphtaline. Tu as l'air gêné, tu ne dis rien, peut-être parce que tu es mort. Les gloussements du magicien finissent par m'énerver, et je me lève brusquement pour lui demander ce qu'il y a de si drôle. Il s'étrangle quelques instants avec son thé avant de me répondre que mon pyjama est très amusant, et que s'il avait voulu me jeter un mauvais sort, il n'aurait pas trouvé mieux. Je baisse les yeux sur ma poitrine et je me rends compte qu'en effet, je suis moi aussi en pyjama, mais c'est un très vieux pyjama, l'un de ceux que je portais quand j'avais cinq ou six ans. Comment se fait-il qu'il soit encore à ma taille ?

Et voilà que tu te mets à rire à ton tour, bêtement, de ce rire moqueur qui m'a toujours donné envie de te gifler, sans t'apercevoir que tu portes toi aussi ton pyjama le plus hideux. Vous avez l'air de vous amuser tellement, tous les deux. Peut-être que je devrais vous laisser seuls, « entre hommes », si ce foutu sorcier en est bien un. Tout à coup, votre fou rire absurde me jette dans une colère noire : j'empoigne la théière fumante qui se trouve sur la table et la balance de toutes mes forces à la tête du magicien, qui tombe à la renverse. La chose doit te paraître désopilante, car tu t'esclaffes de plus belle.

Quand le magicien se relève, il pouffe encore, malgré l'eau bouillante qu'il vient de recevoir au visage. Sa barbe et ses lunettes ont fondu, ou plutôt elles finissent de fondre, laissant sur toute sa figure de longues traînées de pâte noirâtre, comme les restes d'un masque en caoutchouc jeté au four. Il ne ressemble même pas au magicien que j'ai rencontré au commencement. Dans son pyjama sale et miteux, il ne ressemble même plus du tout à un magicien.

Je lui crie qu'il n'est qu'un imposteur, que tu es mort par sa faute, et que je n'ai pas confiance en lui. Sans cesser de rire, il me répond que c'est normal d'être en colère à ce stade, que tout ira bien, qu'il faut attendre la septième bulle. Je hurle que cette bulle est complètement idiote, qu'elle ne nous apporte rien, qu'elle n'a pas lieu d'être. Il me dit que si je veux en sortir, je n'ai qu'à suivre mes traces. D'un geste, il m'ordonne de me retourner. En effet, là, juste derrière ma chaise, deux lignes parallèles d'empreintes profondes dans le sable lunaire arrivent à leur terme. Elles remontent depuis la chaise jusqu'à l'horizon. Ce sont bien mes empreintes. Pourtant, je n'ai pas le souvenir d'être venue jusqu'à cette table en marchant. Essuyant une larme de rire au coin de son œil noirci, il me dit de placer mes pieds dans les creux des empreintes, et de les suivre à reculons, jusqu'à ce que je ne vous voie plus, ni l'un ni l'autre.

Je suis ses conseils et me mets à reculer en suivant mes propres traces, une à une. Au début, tu n'as pas l'air de me remarquer, mais lorsque je commence à m'éloigner vraiment tu cesses de rire, et tu me regardes. Quelque chose vient de te frapper. Tu sembles si triste. Je te fais signe de venir avec moi, mais tu restes planté sur ta chaise, incapable de bouger, tandis que le magicien te ressert une tasse de thé en sifflotant. Apparemment, il en restait encore un peu dans la théière. Bientôt je suis trop loin pour distinguer encore tes traits, mais je sens que tu es terriblement malheureux, peut-être parce que je t'abandonne sur la lune avec ce traître qui ne va sans doute pas tarder à disparaître.

Je reviendrai peut-être te chercher, un jour. Je l'espère.

Je me sens coupable de te laisser ici. Que puis-je faire d'autre ? Tu ne voulais pas prendre la situation au sérieux.

Maintenant, tu vas devoir apprendre ce que c'est que d'attendre quelqu'un.

Petits Démons et Fantômes FamiliersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant