Au bout d'une nuit encore plus fiévreuse que la précédente, j'ai presque réussi à me persuader que j'avais rêvé toute la scène, tout en sachant pertinemment que je n'avais pas réussi à fermer l'œil depuis ma descente au rez-de-chaussée. Mais lorsque nous sommes descendus le matin suivant, les débris de mon verre étaient encore là, par terre à l'entrée du salon.
Il n'y avait plus rien sur le buffet que des bibelots. Le cercueil était toujours vide, et l'Oncle avait encore une fois disparu. Nous avons eu beau fouiller toute la maison, y compris les dédales du musée, impossible de lui mettre la main dessus. Ma mère était au bord de la crise de nerfs. Aussi, lorsqu'en le cherchant dans le jardin elle a trébuché sur un bras mort qu'il avait dû oublier de brûler, ses dernières résistances ont cédé.
Dix minutes plus tard, nous étions dans la voiture, qui s'éloignait à vitesse grand V de la maison. Une fois rentrés chez nous, nous avons tenté, tant bien que mal, de nous livrer à nos activités habituelles, en faisant comme si rien de ce que nous avions vu chez l'Oncle n'était vraiment arrivé. Après tout, avec lui, comment savoir ? Quelques journées paisibles se sont alors écoulées, durant lesquelles nous avons pu faire semblant de n'avoir rien vécu de ce séjour infernal, dont nous n'avions gardé, en définitive, que l'arrière-goût insidieux d'un mauvais rêve.
Quand les pompes funèbres nous ont appelés, au bout de ces quelques jours, nous sommes finalement revenus enterrer l'Oncle.
La cérémonie a été courte, et les spectateurs peu nombreux. On ne nous a donné que peu de détails sur sa mort, outre le fait qu'elle avait été à la fois très violente et difficile à expliquer. Il n'y avait pas eu de mise en bière, le cadavre, apparemment défiguré ou déformé, ne se prêtant pas au spectacle. Tout ce que nous avons vu, c'est son cercueil monumental, celui dans lequel il s'était couché devant nous, à l'heure de dormir, le soir, dans le salon. Si énorme qu'il aurait facilement pu contenir deux ou trois éléphants de mer. Son seul gigantisme a suffi à nous convaincre, sur le moment, que l'Oncle était dedans.
Après coup, pourtant, nous nous sommes posé des questions. Notre vieil Oncle Anatole, ce compagnon jovial et excentrique qui nous racontait ses aventures d'un ton si enjoué, qu'avait-il donc à se reprocher ? Car enfin, pour qu'il ait fini de manière aussi épouvantable, c'est qu'il avait dû nous cacher quelque chose, quelque sombre secret dans son passé qu'il n'avait jamais pu se résoudre à nous avouer, sans doute encore un de ces pactes foireux qu'il avait faits, toute sa vie durant, avec on ne sait quelles puissances impénétrables et capricieuses. Sa légende dorée était rongée d'ombres qu'il n'avait jamais voulu dissiper.
Aujourd'hui encore, il reste dans la légende de l'Oncle quelque chose d'irrésolu qui nous interpelle, et nous ne sommes pas vraiment certains que ce soit bien lui que nous avons enterré là-dessous. Plongés dans l'incertitude, nous attendons encore un indice, un signe. Une carte postale, ou autre chose, qui sait ? Après tout, tant qu'il reste un doute...
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Petits Démons et Fantômes Familiers
Short StoryOn les a tous rencontrés un jour, ou une nuit. Et parfois, ils reviennent...