LA MORT DE L'ONCLE ANATOLE (partie 3)

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Après quoi, calmement, l'air de rien, il a redressé la table, déplacé un tapis pour masquer les trous dans le plancher, ramassé les éclats de céramique répandus au sol avant de disparaître dans la cuisine. Là-dessus, ma mère n'a plus voulu bouger du canapé, ni poser un pied par terre. Mon père, quant à lui, s'est mis à inspecter soigneusement les lamelles du plancher, tout en évitant de trop s'approcher des ouvertures. Au bout d'un moment, comme l'Oncle n'avait pas reparu, j'ai suggéré à mon père d'aller voir dans la cuisine si tout allait bien.

Nous l'avons retrouvé à demi effondré dans l'évier, en train d'étouffer : quelque chose comme une main noueuse semblait s'être glissé sous la peau de sa gorge, et était en train de l'étrangler.

Nous nous sommes précipités sur lui pour l'aider à se relever, mais nous ne pouvions pas faire grand-chose de plus. Nous n'avons pu qu'attendre de voir, peu à peu, cette main qui remuait dans sa gorge se résorber, puis disparaître aussi mystérieusement qu'elle était venue. Après avoir repris son souffle, il a tenté encore une fois de nous tranquilliser :

« Merci bien, mais vraiment, ce n'était pas la peine. Ce sont des crises passagères, impressionnantes à voir, certes, mais il n'y a pas lieu de s'inquiéter. D'ailleurs il est tard, vous feriez mieux d'aller vous coucher, venez, je vais vous montrer vos chambres. »

Nous avons eu toutes les peines du monde à extirper ma mère traumatisée des coussins du canapé. L'Oncle a ensuite attendu que nous soyons montés tous les trois avant d'aller se coucher lui-même, mais une fois en haut je me suis rendu compte que j'avais oublié mes chaussons dans la salle à manger. En redescendant, je l'ai trouvé en train de s'allonger dans un large cercueil ouvert pour la nuit, comme un vampire de cinéma.

« Oui, parce qu'on ne sait jamais, s'est-il justifié. C'est juste au cas où. »

Autant dire qu'aucun de nous trois n'a fermé l'œil cette nuit-là. Il était clair que, si l'Oncle n'était pas déjà mort (et il l'était peut-être, en vérité), la chose était imminente. Si nous ne savions pas vraiment ce qui se tramait dans cette maison, mon père et moi avions déjà compris une chose : les apparitions épouvantables dont nous avions été témoins en bas ne nous concernaient en rien. Elles n'en voulaient qu'à l'Oncle, pour une raison encore obscure à ce stade. Mais il allait être plus difficile d'en convaincre ma mère qui, passé minuit, tremblait encore comme une feuille. C'était son frère, après tout.

La demeure était vaste, mais les uniques toilettes se trouvaient au rez-de-chaussée. Lorsque je suis redescendue un peu après minuit, comme il y avait de la lumière au salon, j'ai jeté un œil par la porte entr'ouverte. Il était à nouveau debout, et se baissait pour ramasser sur le sol des objets indistincts, qu'il amoncelait en fagots. À y regarder de plus près, j'ai compris avec effroi qu'il s'agissait de ces bras hideux qu'il avait dû réussir à arracher du plancher. Et en les ramassant il leur parlait, tout bas, mais de ce qu'il leur disait je n'ai entendu que des bribes. Sans bruit, j'ai refermé la porte et je suis remontée, tout en sachant très bien qu'en aucun cas je ne parviendrais à m'endormir.

Le matin venu, nous avons trouvé le cercueil vide. Il était large comme une table de banquet. Pas trace de l'Oncle dans la maison. C'est au jardin que nous l'avons retrouvé, frais comme un gardon, occupé à cueillir des baies pour le petit déjeuner.

« Tiens ! Vous êtes déjà levés. Bien dormi ? Vous tombez à pic, on va pouvoir passer à table... »

Et il nous a ramenés à l'intérieur, avant que mes parents ne remarquent le tas de branchages qui brûlait en silence au fond du jardin, et son odeur pestilentielle. Mais j'avais déjà deviné ce qu'il faisait brûler ainsi sans nous le dire, et je savais bien qu'il ne s'agissait pas de simples branches.

Petits Démons et Fantômes FamiliersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant