Silver Lake

Chapitre 24

Je fis de mon mieux pour éviter Alec, le lendemain, mais aussi Daniel, qui avait apparemment décidé de rester à la villa Markham. Esquiver le premier fut assez simple, malgré son air piteux qui faillit me faire craquer, mais le second fut plus coriace. Il avait des arguments de poids pour me forcer à lui adresser la parole, comme mes devoirs de Lord. Je me retrouvai donc coincé dans la bibliothèque en sa présence une bonne partie de la matinée dans une ambiance à couper au couteau. Ses excuses ne venant pas, j'en déduisis que les deux hommes n'avaient toujours pas trouvé un terrain d'entente. A l'inverse d'Alec qui avait essayé de me présenter ses excuses avant d'avoir accompli ma requête, je savais que mon second se tiendrait mes mots pour dits et attendrait d'avoir satisfait mon souhait avant de revenir vers moi. Aussi, nos interactions matinales furent purement « professionnelles » et nous prîmes des directions opposées une fois notre labeur terminé.

Je passai le reste de ma matinée à essayer de travailler, sans succès. Mon esprit divaguait et les enregistrements vidéos que j'avais réussi à dénicher dans l'espoir d'avancer dans mon enquête n'arrivaient pas à m'intéresser. J'avais regardé certaines séquences une dizaine de fois sans les voir. Je n'avançais pas, mon travail n'était pas productif, et je devenais fou. Plus les heures passaient, plus je trépignais sur mon siège. N'y tenant plus, je me levai et sortis dans le jardin. Je me mis à trottiner à travers les bois et laissai mon esprit vagabonder, mes sens s'imprégner de la forêt. Au détour d'une clairière, je sentis l'odeur de Jake, le mage de la meute. Silencieusement, je m'approchai de lui et l'observai à la tâche. Le jeune homme traçait des runes au sol mais je n'arrivais pas à définir le but de son sortilège.

— Vous désirez quelque chose, Corwyn ?

Je sursautai. Mon attention était toute tournée à son travail.

— Non, merci. Je courrais et je suis tombé sur vous par hasard. Je ne fais qu'admirer votre oeuvre. Vous êtes doué, le complimentai-je.

— Merci, me remercia le mage alors que ses oreilles prenaient une teinte rosée.

Le silence s'installa alors qu'il se remit à travailler. Le mage le brisa néanmoins très vite.

— Je m'entraîne sur de nouvelles constructions. Des pièges, pour être plus précis.

Il se tourna ensuite vers moi.

— Vous êtes un noble. Votre aptitude runique s'est-elle déjà éveillée ?

— Non, répondis-je en secouant la tête. Je suis encore trop jeune. Mais ça viendra.

Le jeune homme hocha la tête et s'en retourna à son ouvrage, tout en m'expliquant ce qu'il faisait, la façon dont il tissait les runes, ainsi que leur sens. Sa voix était calme, pédagogue, c'était donc un réel plaisir de l'écouter. Les runes étaient une magie vampirique. Néanmoins chez nous autres, elle se réveillait tardivement. Pour un vampire lambda, on pouvait aisément compter sur un ou deux siècles. Pour un noble, ce temps était variable, allant du simple au double. Cependant, sa puissance runique bien différente d'un vampire commun. Chez les mages, c'était différent. Ils étaient issus d'une hybridation en des temps immémoriaux entre faë et vampire. Cette union avait d'ailleurs donné lieu à une interdiction d'accouplement et de procréation entre les deux espèces. Cela avait été jugé trop dangereux.

Quoi qu'il en soit, selon les individus, il y avait une prédominance sur l'un ou l'autre des héritages. Pour Jake, ses aptitudes tendaient vers le côté vampire, de toute évidence. Chez les mages, l'éveil complet de leurs capacités magiques se faisait bien plus tôt que pour les vampires, ou même les faës. L'aptitude aux runes était la dernière à se manifester chez un vampire.

Je poursuivis mon observation un temps, puis retournai vers la maison. Mon esprit, désormais apaisé, était plus disposé à travailler.

Mes plans furent mis à mal lorsque je découvris la présence de Jenna dans la cuisine. Elle s'attelait à la préparation d'un déjeuner à l'odeur délicieuse. Je la saluai et lui proposai mon aide mais elle me chassa hors de ses pattes.