Chapitre 13

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Lorsque Délia rendait visite à sa meilleure amie, elle était en proie à un sentiment dérangeant.

Elle avait toujours considéré que la rivalité n'était pas au cœur de leur relation – même si la concurrence est un ingrédient inévitable de toute amitié féminine. Disons que si leur amitié avait été gâteau au chocolat, la rivalité aurait été la minuscule pincée de sel imperceptible au goût. Ambre était mille fois plus jolie, certes, mais son manque de confiance en elle et son absence totale de goût pour la mode la rendaient inoffensive aux yeux de Délia. Jamais elle n'avait éprouvé durant son adolescence de complexe d'infériorité. Elles étaient trop différentes pour se faire de l'ombre. Chacune avait ses points forts ; chacune avait ses points faibles.

Pourtant, lorsque la porte s'entrouvrit, Délia se sentit malgré elle plongée dans la compétition.

Elle embrassa chaleureusement Ambre sur les deux joues et elles gagnèrent le salon, tandis que le regard de Délia mesurait l'espace qui les entourait, l'additionnant aux meubles flambant neufs, à la cuisine américaine, aux murs tellement immaculés qu'ils semblaient avoir été blanchis à la chaux, à la vue imprenable sur le fleuve.

Objectivement, Ambre avait une longueur d'avance sur elle. Non seulement elle vivait dans un grand duplex situé dans un beau quartier, mais elle n'avait probablement aucun retard dans ses factures. Incontestablement elle se débrouillait mieux dans la vie.

Néanmoins cela n'était pas dû à ses seules qualités. Son principal mérite était d'avoir toujours sélectionné ses petits amis parmi l'élite bourgeoise de l'école. Délia, quant à elle, avait toujours été attirée par les garçons à l'allure grunge ou bohème, des garçons à l'âme d'artiste. Avec le recul, elle devait reconnaître que les goûts d'Ambre en matière de garçon n'étaient pas si méprisables.

Avec un diplôme en dentisterie, son petit ami gagnait bien sa vie et sa belle-famille se montrait très généreuse. Ambre ne travaillait qu'à temps partiel et toujours comme modèle photo, ce qui était loin d'être le pire des métiers.

Cela dit, Délia ne l'enviait pas totalement. Car tous ces privilèges supposaient de partager sa vie avec Florian, le plus grand semeur de chaussettes de tous les temps. Délia avait dû enjamber environ trente chaussettes blanches pour parvenir jusqu'au canapé où une colonie de cousines chaussettes formaient comme un petit tapis de bienvenue.

Si un jour Ambre venait à manquer d'argent, elle pourrait toujours transformer son duplex en Musée de la Chaussette et accueillir des visiteurs.

– Tu veux boire ou manger quelque chose ? proposa Ambre avant d'énumérer tout le contenu de son frigo.

C'était ce genre de détail qui renforçait le complexe d'infériorité de Délia. Le frigo de sa meilleure amie était toujours rempli de mille et un délices. De vraies bonnes pâtisseries, quatre sortes de jus de fruits, trois sortes d'eau, et, en matière de salé, le genre de produit que Délia n'achetait qu'à Noël. Si la situation avait été inversée, Délia lui aurait servi de l'eau du robinet et des biscuits de la marque du supermarché.

– Tu n'aurais pas du jus de chaussette ? lança-t-elle d'un ton taquin.

Ambre fronça les sourcils, comme si elle n'était pas au courant de vivre au Musée de la Chaussette.

Le regard de Délia dériva vers la ribambelle de chaussettes.

Ambre prit immédiatement la défense de Florian :

– Il change de chaussettes trois fois par jour. Une paire pour faire son jogging, une paire pour le travail et une pour le jogging du soir. En hiver, il faut compter une quatrième paire pour la nuit.

Hier n'est jamais loinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant