Une fois seule, elle hésita à se regarder dans le miroir.
Elle avait envie de vérifier ce que Julien avait vu. Mais, d'un autre côté, cela valait-il la peine de vérifier ce qu'elle était impuissante à changer ? Si jamais elle découvrait que son maquillage avait coulé ou que son front était en train de peler à cause du froid, cela ne souillerait-il pas la grâce de ce moment passé avec Julien ? Elle se connaissait suffisamment pour savoir que cela gâcherait tout ce qu'elle venait de vivre. Et pourtant se voiler la face lui paraissait encore pire. Il fallait qu'elle sache le souvenir que Julien avait emporté dans sa caravane. L'image qui, une fois au lit, le bercerait... ou le terroriserait.
Il n'y avait pas de miroir dans la roulotte. Elle sortit de sa valise un petit miroir de poche et l'approcha de la lumière avec le sentiment qu'elle courait à sa perte. Elle s'appréhenda d'abord par morceaux, le menton, un bout de joue, l'œil droit, l'œil gauche de façon à se prémunir d'un trop grand choc. Ne décelant rien de catastrophique mais ne parvenant pas à se faire une idée de l'ensemble, elle éloigna le miroir.
Elle avait le nez rouge, les joues colorées, les pupilles dilatées par l'alcool, les lèvres légèrement gercées. Mais bon Dieu ! Elle s'était rarement trouvée aussi jolie. Ses yeux paraissaient immenses. Intenses. Elle se reconnaissait à peine. Son visage, qui n'avait jamais possédé la moindre force d'expression, surtout à cette période de l'année, semblait doté de parole et ses yeux brillaient comme deux obsidiennes.
C'était la première fois qu'une ballade dans le froid lui dessinait ce visage-là. En même temps, elle ne se regardait pas souvent dans le miroir après une ballade dans le froid. Si ça se trouve, cela produisait toujours cet effet-là.
Non, elle était convaincue que le reflet qu'elle admirait à cet instant précis n'avait jamais existé auparavant.
Rassurée, elle autorisa mentalement Julien à penser à elle. Ce visage-là, il pouvait le garder et le contempler autant de fois que l'envie lui en prendrait.
Elle se démaquilla, enfila son pyjama et se coucha sous les draps, persuadée que le sommeil l'emporterait rapidement au pays des rêves.
Mais le sommeil ne vint pas. La nuit, en revanche, déposait des gifles de vent glacé sur ses joues. Elle alluma la lumière et constata que la fenêtre du toit était restée ouverte. Elle soupira.
Lorsqu'elle avait découvert sa roulotte, elle avait eu un coup de foudre pour cette fenêtre qui lui avait fait songer au toit ouvrant d'une décapotable, et avait eu l'excellente idée de se hisser sur son lit pour y passer la tête. Elle s'était vite aperçue que la comparaison avec la décapotable s'arrêtait là, car il manquait la vitesse et la route gorgée de soleil. Sans compter qu'elle avait à peine réussi à sortir le bout de son nez et que la fenêtre était restée bloquée lorsqu'elle avait tenté de la refermer. Elle s'était dit qu'elle réglerait ce problème plus tard. Sauf que Plus tard finit toujours par devenir Maintenant. Et maintenant elle avait l'impression que son lit était un iceberg flottant sur la banquise.
Elle se leva pour faire une nouvelle tentative, mais bien évidemment elle n'avait pas acquis des forces herculéennes au cours de cette journée, et la fenêtre resta insensible au fait qu'elle avait absolument besoin de dormir pour préserver la fraîcheur de son teint. Quelle stupide idée son esprit avait-il eu d'associer cette fenêtre au toit ouvrant d'une décapotable ! Autant associer une marre à une décapotable ! C'est vrai, elles sont toutes les deux à ciel ouvert. Mais ce n'est pas une raison pour se jeter dans la marre !
Lorsque les premières gouttes de pluie se firent sentir, elle emporta sa couette et se réfugia sur le sol. Mais le vent s'allia à la pluie et elle se retrouva harcelée par la tempête. De toute façon, le sol était trop dur pour parvenir à dormir.
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Hier n'est jamais loin
RomantizmElle pensait les avoir oubliés... Mais le Passé n'aime pas qu'on lui tourne le dos. En couple depuis cinq années, Délia vit une idylle parfaite avec Arnaud. Mais son cœur a-t-il réellement renoncé à ses trois amours de jeunesse ? Lorsque sonne l'heu...