Le matin du jour J, Délia se leva avant le soleil. Une fois parée, coiffée et maquillée, elle demanda à Arnaud de faire un détour par le centre commercial pour apporter la touche finale à sa métamorphose. La Dignité ne pouvait se passer d'un parfum haut de gamme. Délia avait toujours sacralisé les odeurs, persuadée qu'elles étaient telles de petites sentinelles se glissant dans le cerveau pour modeler les émotions : désir, répulsion, fascination. Les odeurs avaient un impact qu'il ne fallait pas sous-estimer pour faire bonne impression.
N'ayant malheureusement pas les moyens de débourser 100 euros pour un flacon, Délia avait l'habitude de se rendre chez Planète Parfum où les testeurs étaient à portée de main. Une petite giclée par-ci, une petite giclée par-là et la voilà parfumée pour la journée.
Lorsqu'elle découvrit les stores déroulés le long de la devanture, elle se frotta le nez, contrariée. Une petite pancarte informait que le magasin était exceptionnellement fermé pour cause d'inventaire. Délia resta immobile, incapable de renoncer. Dans son cerveau se déroulait la liste des choses indispensables à faire avant son départ et la case « Planète parfum » continuait de clignoter, en attente. Elle se rappela soudain qu'il y avait une autre parfumerie, plus loin dans la galerie. C'était un endroit luxueux où il était impossible de s'approcher d'un testeur sans quémander l'aide d'une vendeuse. Néanmoins, cela valait la peine d'essayer.
Deux minutes après avoir fait son entrée dans la boutique aussi étincelante que déserte, Délia comprit qu'il y avait un problème. Six vendeuses se tenaient retranchées derrière leur comptoir et pourtant aucune ne l'avait encore interpellée. Elle avait pourtant pris un air hagard, le nez en l'air, errant comme une cliente cherchant vaguement quelque chose. Elle avait jeté de petits coups d'œil emplis de détresse aux vendeuses pour leur signifier son grand besoin d'être conseillée. En retour, elle n'avait récolté que des regards qu'elle aurait pu qualifier de désobligeants.
Une seconde personne passa le seuil du magasin. Une vieille dame parée d'un ensemble fleuri et d'un petit sac-à-main doré. Aussitôt une vendeuse quitta son refuge et se dirigea vers elle d'un pas alerte :
– Madame De Boissieu, que puis-je faire pour vous ?
S'ensuivit une conversation passionnante à propos d'un rouge à lèvres trop foncé. Délia observa la scène, stoïque, avant de reporter son regard vers les cinq autres vendeuses qui semblaient toujours scotchées avec de la glue. « Hé oh ! Je suis là ! » avait-elle envie de hurler.
Lorsqu'une troisième cliente fit son entrée, recevant immédiatement la sollicitude d'une vendeuse, Délia sentit la rage lui monter au nez. En fait, tout le monde ici avait compris qu'elle repartirait les mains vides, voilà pourquoi on la traitait comme une lépreuse.
Parce qu'elle n'avait ni sac-à-main Vuitton ni bijoux clinquants ni l'air de sortir de Dallas, tout le monde en déduisait qu'elle n'avait pas d'argent. Et même si c'était la stricte vérité, ce n'était pas une raison pour l'ignorer de façon aussi ostentatoire.
Prise d'un subit aplomb, elle se dirigea vers la vendeuse qui lui paraissait la moins antipathique, une grande perche aux cheveux courts.
– Excusez-moi, Madame, je peux vous demander un renseignement ?
Cette phrase déclencha immédiatement chez la vendeuse un réflexe de Pavlov. Grand sourire illuminé, regard prévenant, ses bras remuèrent tout à coup et ses semelles se déscotchèrent du carrelage. C'était impressionnant.
– J'aimerais respirer un parfum d'Hermès, continua Délia. Eau d'orange verte.
La vendeuse hocha la tête et quitta précipitamment son présentoir, l'invitant à la suivre jusqu'au rayon hommes.
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Hier n'est jamais loin
RomanceElle pensait les avoir oubliés... Mais le Passé n'aime pas qu'on lui tourne le dos. En couple depuis cinq années, Délia vit une idylle parfaite avec Arnaud. Mais son cœur a-t-il réellement renoncé à ses trois amours de jeunesse ? Lorsque sonne l'heu...