Chapitre 46

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Dans le car, Délia s'assit à côté de Rob. Thibault était juste devant, à côté de Sarah. Julien était parti dans une voiture blindée pour donner un showcase à l'autre bout du pays.

Les adieux, pour une fois, n'avaient pas été déchirants. Parce qu'elle avait la certitude qu'elle le reverrait.

C'était dur pourtant de sentir le car se mettre à bouger, traversant de petites routes de campagne avant de s'élancer sur l'autoroute. Elle laissait derrière elle une clairière et une forêt dans lesquelles elle ne reviendrait probablement jamais, mais qui dans sa mémoire, seraient à jamais figées dans la gloire de l'automne.

Plus elle s'éloignait de cette forêt, plus elle prenait conscience d'une chose : elle n'avait plus seize ans. À seize ans, elle pouvait embrasser un garçon puis un autre sans en éprouver le moindre remords. À seize ans, cela était normal, sans conséquence. Dix ans plus tard, cet acte autrefois banal prenait un nouveau nom : infidélité, trahison.

Pourtant, comment aurait-elle pu se sentir coupable d'avoir embrassé Julien ? C'était Julien ! On ne refusait pas un baiser de Julien ! Quelle fille aurait refusé un baiser de son premier amour ? Elle avait des circonstances atténuantes. Néanmoins, peut-être valait-il mieux ne pas faire valoir ces circonstances atténuantes auprès d'Arnaud. Pour le moment, tout du moins. Mieux valait se taire, le temps d'être sûre de la signification de ce baiser. Il fallait impérativement qu'elle joigne Julien pour savoir ce qu'il attendait d'elle. Est-ce qu'il voulait qu'elle quitte Arnaud ?

Délia réalisa soudain qu'elle n'avait pas le numéro de Julien. Cela paraissait insensé après le week-end qu'ils venaient de passer, et pourtant... Julien l'avait toujours appelée à partir d'un numéro privé. Elle ne savait pas comment le joindre. Elle aurait pu demander son numéro à Rob ou à Thibault, mais elle aurait eu l'impression de les insulter. L'ancienne Délia aurait quémandé le numéro de Julien d'une petite voix désespérée. La nouvelle allait se débrouiller par elle-même.

Elle se tourna vers Rob, appuyant sa tête contre le dossier :

– Tu dois être impatient de retrouver ta femme, lâcha-t-elle brusquement.

Après tout, ils étaient un peu dans le même pétrin. Mis à part que Rob n'avait pas trompé sa femme. Mais certainement il ne lui raconterait pas tout ce qui s'était passé. Il devrait cacher certains détails, lui aussi.

– Et toi ton petit ami.

Elle n'avait pas envie d'y penser pour le moment. Ce tournage avait été comme une parenthèse, une évasion. Jamais auparavant elle n'avait ressenti le poids de la routine avec Arnaud. Jamais même le mot « routine » ne lui avait traversé l'esprit. Mais après tous les rebondissements qu'elle venait de vivre, ce mot prenait tout son sens.

– Comment as-tu rencontré ta femme ? demanda-t-elle, cédant à la curiosité.

Rob lui jeta un regard interloqué assorti d'un froncement de sourcils comme si elle venait de lui demander si les poules pondaient des œufs.

– Tu ne sais pas qui est ma femme ? répliqua-t-il, visiblement amusé par la situation.

– Non. Comment le saurais-je ?

Le car émit un soubresaut, la faisant basculer vers l'épaule de Rob.

– C'est toi qui nous as présentés.

Elle se redressa et le dévisagea, interdite, ne comprenant toujours pas. Jusqu'à ce qu'il déclare :

– Vanessa Shubert.

– Oh...

Elle se félicita pour n'avoir émis que ce petit « oh » maitrisé, alors que dans sa tête elle hurlait : Quoi ? Vraiment ? Comment as-tu pu épouser une conasse pareille ?

Elle se rappelait l'air hautain de Vanessa, ses fringues de marques, sa façon de se montrer aimable par-devant pour mieux vous critiquer par derrière. Elle était belle et intelligente, mais extrêmement sournoise.

Elle se rencogna contre son siège et regarda par la vitre, voyant apparaître son propre reflet qui paraissait la sermonner : Tout ça est de ta faute !

– A-t-elle changé ?

– Je ne sais pas, répondit Rob d'un air perplexe.

Sans doute ne percevait-il pas la nécessité absolue d'un changement.

– Est-ce qu'elle a toujours trois sèche-cheveux ?

Au lycée, Vanessa venait toujours à la piscine avec trois sèche-cheveux, au cas où l'un tomberait en panne et l'autre serait volé. Mais elle ne permettait à personne de s'en servir. Tout le monde devait se bousculer sous le sèche-cheveux municipal tandis que Vanessa gardait précieusement pour elle ses trois sèche-cheveux. Cela résumait bien sa personnalité.

– Je ne sais pas, mais elle semble bien équipée à ce niveau-là.

Délia laissa cogner sa tête contre la vitre. Rob méritait mieux qu'une fille comme Vanessa, mais elle ne pouvait pas le lui dire.

– Eh bien, dit-elle au bout d'un long silence, c'est un peu grâce à moi si tu as rencontré ta moitié. Tu pourrais me remercier.

– Je crois avoir participé plus que toi pour la séduire, rétorqua-t-il d'un ton taquin.

– Bien sûr.

C'était sa vie, après tout. Et il paraissait heureux. Elle n'avait pas son mot à dire. Il fallait l'accepter.

– Tu as ton permis ? lança-t-elle pour changer de sujet.

– Oui. Pourquoi ?

– Moi je ne sais pas conduire. Je sais, c'est une honte. En plus, mon copain va partir trois mois en tournage et il va falloir que je passe mon permis, mais je suis la pire conductrice de tous les temps.

– Tout le monde croit ça avant d'avoir pris l'habitude.

– Non, je t'assure que j'ai réellement deux pieds gauches. Je m'étais inscrite avec mon copain pour faire de la conduite supervisée, mais on a dû arrêter parce que sinon on serait morts tous les deux.

– Tu as failli faire un accident ?

– Non, mais il m'agaçait tellement avec ses conseils que j'avais envie de l'étriper. Il n'arrêtait pas de crier. Et pourtant il est plutôt du genre calme d'habitude.

– C'est pour ça qu'il vaut mieux apprendre avec quelqu'un dont tu n'es pas proche. Je pourrais te servir d'accompagnateur si tu veux. J'ai mon permis depuis mes dix-huit ans.

Elle secoua la tête.

– Oh, ce serait gentil, mais tu deviendrais fou avec moi.

– Je t'assure que non.

Elle se redressa, hésitante.

– Tu ne te moqueras pas de moi, promis ?

– Est-ce que je me suis déjà moqué de toi ?

– Non, c'est vrai, admit-elle. Merci.

Elle se jeta à son cou pour l'embrasser sur la joue avant de comprendre, à la façon dont Rob se raidit, qu'elle était trop familière. Ce n'était plus son Rob maintenant. C'était le mari de Vanessa.

Hier n'est jamais loinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant