À cause désespérée, remède désespéré.
Délia inspira un grand coup et appuya sur la sonnette. Quelques instants plus tard, le visage rayonnant d'Hélène apparut. Elle portait son tailleur framboise – celui qu'elle réservait aux clients les plus prestigieux – ainsi qu'une parure de topazes bleues qui illuminait ses lobes d'oreille et son cou.
– Ma chère, entrez.
Délia remarqua qu'elle avait droit au vouvoiement, ce qui indiquait clairement qu'aujourd'hui, elle ne venait pas travailler.
Elle suivit Hélène jusqu'à son bureau en se triturant les mains, oscillant entre un malaise certain et une franche curiosité.
– Vous m'avez donné du fil à retordre ! s'exclama Hélène en poussant la porte. Je n'avais jamais reçu une telle demande. J'ai dû faire de longues recherches. Mais finalement j'ai trouvé !
– Oh, vraiment ? se réjouit Délia. Puis désignant la table de massage : Est-ce que je dois m'allonger ?
– Non, non, prenez plutôt la chaise.
Délia s'assit en face de sa patronne, tentant d'éprouver ce que devait ressentir tous ces clients qui venaient chercher ici remède à leurs maux. Est-ce qu'ils étaient confiants ou est-ce que, tout comme elle, ils se sentaient légèrement humiliés ? Sans doute se disaient-ils qu'ils n'avaient rien à perdre. C'est ce qu'elle s'était dit.
– Donc vous voulez oublier quelqu'un ou plutôt les sentiments que vous avez pour quelqu'un, c'est bien ça ? (Délia inclina timidement la tête.) Un amour de jeunesse, un souvenir récalcitrant, poursuivit Hélène comme si elle faisait le diagnostic du cœur de Délia. J'ai trouvé un cas analogue dans l'œuvre d'Ariston de Sombreval. Le remède date de 1320 et Ariston est mort en 1712, donc on peut dire que ce remède a fait ses preuves puisqu'il a été utilisé sur plusieurs siècles.
Délia doutait que cet argument démontre quoi que ce soit d'un point scientifique. Hélène délaissa ses notes un instant pour la dévisager.
– Est-ce que cet homme vous a déjà offert des fleurs ?
– Non.
La bouche d'Hélène se tordit :
– Oh, ça c'est embêtant. Vraiment, jamais ?
Son regard semblait sous-entendre : Comment avez-vous pu aimer un homme qui ne vous a jamais offert de fleurs ?
– Non, il n'était pas du genre à faire des cadeaux, malheureusement.
Au moment où elle prononça ses mots, un petit sursaut dans sa mémoire fit jaillir une sensation : une tige glissée derrière son oreille. Et elle se revit au cœur des plus beaux jardins du monde, comme si elle se regardait du haut d'un nuage. Le plaisir, la satisfaction sur son visage au moment où Julien avait glissé cette fleur dans ses cheveux.
– Si, corrigea-t-elle. Il m'a offert une orchidée une fois.
Hélène parut rassurée et consulta à nouveau ses notes.
– Alors il vous faudra trouver une orchidée, en prélever le bulbe et le placer avec les racines sous votre oreiller jusqu'à la nouvelle lune.
– C'est tout ?
Hélène acquiesça, visiblement très satisfaite d'elle-même. Délia sortit un billet de cinq euros de sa poche :
– Est-ce suffisant ? demanda-t-elle, même si à ses yeux c'était déjà beaucoup trop pour ce conseil ridicule.
– C'est vous qui voyez, répliqua Hélène en toisant le billet d'un air qui sous-entendait tout le contraire.
Délia sentait bien qu'elle l'avait vexée. Et ce n'était pas son but. Après tout, Hélène avait probablement passé beaucoup de temps à consulter des livres moyenâgeux pour lui dégoter ce remède. Si elle ne la payait pas suffisamment, peut-être qu'Hélène ne la réembaucherait pas au printemps prochain.
![](https://img.wattpad.com/cover/112296458-288-k338076.jpg)
VOUS LISEZ
Hier n'est jamais loin
RomanceElle pensait les avoir oubliés... Mais le Passé n'aime pas qu'on lui tourne le dos. En couple depuis cinq années, Délia vit une idylle parfaite avec Arnaud. Mais son cœur a-t-il réellement renoncé à ses trois amours de jeunesse ? Lorsque sonne l'heu...