Chapitre 23

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Délia s'était levée du bon pied. Et pour cause, la lune lui avait octroyé un congé ! C'est tout ce qu'elle avait retenu du long discours d'Hélène à propos d'un nœud lunaire qui interdisait de manipuler les plantes ce jour-là, au risque de voir croître des malformations. Délia avait acquiescé gravement la tête avant de demander à quelle fréquence avaient lieu ces terribles « nœuds lunaires ».

– Deux fois par mois, avait révélé Hélène.

Merci la lune ! avait pensé Délia.

Lorsqu'elle pénétra dans la salle de bains, Arnaud prenait sa douche. Hier, ils avaient quitté la soirée avant minuit et étaient restés silencieux tout le long du trajet.

– Est-ce que tu m'en veux ? avait-elle à nouveau demandé, blottie dans la chaleur du lit, une fois les lumières éteintes.

Protégée par l'obscurité, elle se sentait davantage capable d'évoquer Julien.

– Si tu me dis toujours la vérité, je ne t'en voudrai jamais, avait-il répondu avant de se tourner de son côté.

Même si son ton ne laissait filtrer aucune animosité, elle s'était sentie mal, sans savoir si c'était elle ou Arnaud qui était à l'origine de ce malaise. Elle aurait préféré qu'ils fassent l'amour pour se réconcilier. Mais Arnaud avait son premier entraînement de kick-boxing le lendemain et, selon lui, faire l'amour n'était pas bon, car cela le rendrait moins agressif. Elle s'était demandé si c'était là la vraie raison.

– Est-ce que je peux venir à ton entraînement ? lança-t-elle tout en s'aspergeant le visage d'eau froide.

C'était l'occasion de partager un moment ensemble. L'occasion, aussi, de mettre fin à un suspense insoutenable. Il y avait une chance sur un milliard pour que son ex-petit ami, Thibault, soit le champion qui allait coacher Arnaud, mais elle voulait en être sûre. Arnaud était si sociable qu'il aurait été capable de se lier d'amitié avec son coach et de le ramener à la maison un de ces soirs. Elle ne voulait pas être prise au dépourvu.

Arnaud sortit de la douche et attrapa une serviette pour la nouer autour de ses hanches :

– Tu viens pour m'encourager ou pour te payer un fou rire ?

De petites perles d'eau ruisselaient sur son torse, ses cheveux étaient mouillés et ses yeux étaient d'un bleu intrépide.

Il s'approcha et redressa la bretelle de sa nuisette.

– Alors ? insista-t-il.

– Je viens pour t'encourager, affirma-t-elle.

Elle déposa un baiser sur son menton aussi lisse que la peau d'un bébé. Arnaud n'avait jamais eu besoin de se raser. Mais récemment il avait fait l'acquisition d'un rasoir dans l'espoir de ressusciter sa pilosité inexistante.

– OK, départ dans trente minutes.

– Quarante-cinq, tenta-t-elle de négocier.

– Il ne te faut pas trois quarts d'heure pour t'habiller ! Enfile un jogging, noue tes cheveux et c'est bon.

– Grrrrr, grogna-t-elle en le poussant hors de la salle de bains avant de se jeter sur sa trousse de maquillage.

Lorsque 35 minutes plus tard, Délia pénétra dans le salon, Arnaud la dévisagea de la tête aux pieds. Puis il s'attarda sur ses jambes à peine voilées de tissu, juchées sur des escarpins qu'il n'avait jamais vus. Son expression oscillait entre l'éblouissement et le mécontentement.

– Je doute que ce soit la tenue appropriée pour aller dans une salle de sport.

– C'est toi qui vas boxer, pas moi. Depuis quand tu critiques la façon dont je m'habille ?

– Je ne critique pas. Je dis ça pour toi. Il y aura beaucoup d'hommes là-bas. Tu vas attirer tous les regards.

– Tu n'as pas envie d'être fier de ta petite amie ? Moi qui pensais te faire honneur...

Elle s'approcha pour qu'il puisse l'admirer de plus près, espérant qu'il ne choisirait pas ce jour pour faire usage de son droit de l'habiller comme une poupée. Une lueur d'obstination frémissait dans son regard.

– OK, reste comme ça, céda-t-il. Mais ne compte pas sur moi pour me battre en duel si on t'insulte. Je t'aurai prévenue.

– Je croyais que tu aimais me voir en jupe.

Il posa une main sur sa hanche.

– Oui, j'adore mais ce n'est pas l'endroit. Tiens, tu t'es maquillée ?

– Comme d'hab, bafouilla Délia en baissant les yeux.

– On dirait que tu cherches à décrocher un rôle dans le prochain Pretty Woman. Tu sais, il n'y aura personne du cinéma là-bas. Juste le Tigre.

Exactement !

Si jamais elle devait croiser Thibault aujourd'hui, elle ne voulait pas lire de la déception dans ses yeux. Le connaissant, il serait même capable de lui balancer en pleine face : « Eh ben, t'as pris un coup de vieux ! » Si jamais la rencontre devait avoir lieu, elle voulait voir ses yeux siffler d'admiration.

Non pas qu'elle souhaitât revoir Thibault, non pas qu'il eût la moindre importance à ses yeux, c'était purement et simplement une question d'orgueil. Elle ne voulait pas que quiconque lui fasse sentir qu'elle était mieux avant.

Arnaud avait vu juste pour la jupe. C'était un aimant. Depuis tout à l'heure, la place à côté d'elle sur le banc n'était pas restée vide plus de cinq minutes. Tous les boxeurs semblaient chercher le repos ou l'hydratation sur ce banc. Délia n'attendait même plus qu'ils ouvrent la bouche pour débiter « Je suis venue encourager mon petit ami », tout en s'abstenant de désigner Arnaud qui faisait pâle figure au milieu de tous ces pectoraux. Elle avait l'impression d'être le point de mire de tous les regards, de toutes les blagues sexistes, de tous les scénarios graveleux.

Elle posa son sac sur ses genoux en serrant les cuisses, concentrant son regard sur Arnaud qui tentait tant bien que mal de lever la jambe pour frapper dans un sac de punching-ball. Il paraissait déjà à bout de forces alors que l'entraînement n'avait commencé que depuis quinze minutes. Le Tigre paraissait consterné, c'était le moins qu'on puisse dire, même si en bon professionnel qu'il était, il continuait d'encourager son élève à grand renfort d'imagination :

– Imagine que c'est ton pire ennemi. C'est lui ou toi ! Ta vie ou la sienne ! Envoie-lui tout ce que tu as dans le ventre !

Autant dire que si le scénario avait été réel, Arnaud aurait déjà perdu la vie vingt fois.

Hier n'est jamais loinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant