Hier n'est jamais loin

Chapitre 21

Délia venait d'abandonner Arnaud à de nouvelles connaissances. Il avait le contact si facile, c'était hallucinant. À ce rythme-là, Channing Tatum viendrait dîner à la maison à la fin du mois.

Elle dépassa le carré V.I.P. délimité par un cordon rouge et une rangée de palmiers derrière lesquels des célébrités se vautraient dans des poufs géants à côté d'un seau à champagne.

L'ambiance était plus éblouissante qu'elle ne l'aurait pensé. Des lumières bleues et orangées tamisaient la pièce, évoquant un coucher de soleil. Aux deux extrémités de la salle se dressait un grand bar qui semblait tout droit importé d'une petite île avec sa structure en bambou, son toit en raffia et ses guirlandes d'hibiscus. Le logo de la marque brillait tel un soleil doré au-dessus du buffet.

Elle se sentait toujours aussi peu à sa place, en dépit de sa jolie robe et de ses yeux charbonneux. Elle se faufilait parmi les invités, telle une souris perdue parmi des chats, sentant planer sur elle comme une menace. Pourtant elle n'avait pas croisé Julien. Peut-être ne viendrait-il pas. Pourquoi se sentait-elle si découragée à cette idée ?

Elle avisa le buffet qui était particulièrement appétissant. Les plats avaient été disposés de façon à représenter des animaux de la jungle, dont un lion à la crinière composée de feuille d'ananas. Elle rafla trois toasts au saumon et deux mini-quiches jambon-ananas. À ce rythme-là, elle serait obèse à la fin du mois.

Elle attaquait une troisième quiche lorsqu'une main se posa sur son épaule. Elle sursauta.

– Salut.

Cette voix...

Elle reposa sa quiche sur la table et essuya les commissures de ses lèvres à la vitesse de l'éclair avant de se retourner. Ce n'était pas comme ça que c'était censé se passer. Elle était censée le repérer de loin – trente mètres au moins –, inspirer trois fois profondément, masser sa chevelure pour lui redonner du volume et puis avancer vers lui d'une démarche nonchalante, comme si elle ne l'avait pas vu. Et c'est seulement au moment où elle l'aurait frôlé, tout en regardant ailleurs, qu'il l'aurait accostée. Les plans prémédités ne marchaient jamais avec Julien ; elle aurait dû s'en souvenir.

Maintenant elle avait probablement des fibres d'ananas coincées entre les dents.

Il lui jeta un regard indécis comme s'il attendait son autorisation pour lui faire la bise.

Elle se hissa sur la pointe des pieds pour faire le premier pas. Après tout, c'était le plan initial. Agir avec Julien comme elle aurait agi avec n'importe quelle connaissance passée. Ne lui apporter ni plus ni moins d'intérêt que si elle s'était trouvée face à Rob ou à Thibault.

Alors qu'elle approchait sa joue de son visage, elle sentit surgir au fond d'elle une émotion presqu'oubliée qui se débattait férocement. Elle la réprima du mieux qu'elle put.

Néanmoins, elle ne put s'empêcher de respirer son odeur et de la décrypter : un parfum contrasté de notes fraîches évoquant la forêt masquant une facette plus chaude. Coumarine et menthe poivrée, tel était l'accord dominant de ce parfum qui lui captiva les narines. Un souffle froid mais sensuel.

– C'est bizarre, n'est-ce pas ? lança Julien en esquissant un sourire gêné et elle lui fut reconnaissante de l'admettre.

– Oui, qui aurait cru qu'on se retrouverait un jour... Elle entendit la nostalgie suinter de ses propres paroles et s'empressa d'ajouter : ... À fréquenter ce genre de soirée.

Julien acquiesça. Sans son camouflage de boucles, son regard paraissait si présent. Elle baissa les yeux. Il portait l'un de ces colliers à fleurs un peu kitch qu'on distribuait à l'entrée et qu'elle avait pris soin de refuser. Même avec des fleurs autour du cou, il paraissait toujours aussi viril et légèrement rebelle. Elle réalisa qu'il dégageait exactement ce que recherchait Arnaud. Mais autant cela était une quête compliquée pour son petit ami, autant cela était entièrement naturel chez Julien.