Chapitre 20

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Il était 17 h 30. Délia attendait Arnaud sur le bas-côté de la route, un bouquet de pieds d'alouettes à la main. Hélène lui avait proposé d'aller cueillir des fleurs pour son petit ami et Délia avait jeté son dévolu sur ces gigantesques fleurs dont la tige d'un mètre de haut était surmontée d'une pyramide de petites fleurs bleues. Elle espérait que ces fleurs soient suffisamment masculines pour ne pas froisser Arnaud, lui qui en ce moment cherchait maladroitement à paraître plus viril pour s'imprégner du rôle de Joshua.

Délia fixait le ruban d'asphalte en trépignant. Il était vraiment temps qu'elle songe à passer son permis. Son petit ami ne pourrait pas lui servir de chauffeur éternellement.

Lorsqu'enfin elle grimpa dans l'habitacle, elle lui tendit immédiatement le bouquet en s'excusant :

– Ne m'en veux pas. C'est ma patronne qui a eu l'idée.

Mais, contre toute attente, Arnaud poussa un petit cri ravi. Pas sûre que Joshua aurait fait de même, pensa Délia.

– C'est la première fois qu'on m'offre des fleurs ! s'extasia-t-il. Merci. Elles sont gigantesques. On n'a pas de vase assez grand. Il va falloir les mettre dans la piscine.

– On n'a pas de piscine.

– Alors on en achètera une ou on les mettra dans la baignoire.

Il pressa les fleurs si fort contre son nez qu'il se mit à éternuer. Délia pouffa. Il était si mignon. Un rien suffisait à le contenter.

Il lui demanda des détails sur sa journée, tandis qu'il enclenchait la marche arrière, faisant crisser les pneus sur l'allée de cailloux roses.

Délia lui raconta l'épisode des abeilles en ne négligeant pas d'avouer qu'elle avait poussé la chansonnette pour adoucir ces petites bestioles. Arnaud manqua de faire une embardée tellement il riait.

– Tu l'as échappé belle, on dirait.

Délia posa sa tête contre la vitre en se demandant à quoi il aurait mieux valu échapper : à une bande d'insectes ou à cette soirée ? Elle n'était plus certaine d'avoir envie d'y aller. Maintenant qu'Arnaud était là et que sa bonne humeur emplissait l'habitacle, elle éprouvait un sentiment mitigé. Elle regrettait presqu'il ne soit pas un horrible macho possessif. Car s'il l'avait été, il lui aurait interdit d'aller à cette soirée où elle était susceptible de croiser Julien.

Mais Arnaud n'était pas comme ça. Jamais il ne lui interdirait de revoir son ex. Il lui faisait trop confiance. C'était l'une des raisons pour lesquelles elle l'aimait, mais aussi l'une des raisons qui aiguisait son sentiment de culpabilité.

Ç'aurait été mentir de dire qu'elle se fichait éperdument de revoir Julien.

Ç'aurait été mentir de dire qu'elle avait acheté cette robe uniquement pour faire honneur à Arnaud.

Ç'aurait été mentir de prétendre qu'elle avait les mains moites uniquement à cause de l'été.

La dernière fois elle avait fui. Cette fois elle était décidée à l'affronter. De toute façon, ils seraient amenés à se croiser. Elle ne pourrait pas repousser éternellement la confrontation.

Elle voulait parler à Julien, ne serait-ce que pour le faire descendre de son piédestal, ce piédestal que seul le temps et l'éloignement sont capables d'ériger. Le temps confère toujours une aura à ceux qu'on a perdus. Plus elle maintiendrait Julien à distance, plus grandirait son aura, plus dangereuse serait la fascination qu'elle pourrait vouer à cet homme qui semblait avoir capturé dans son regard un bout d'elle-même. C'est ce qu'elle avait ressenti la dernière fois lorsque ses yeux verts s'étaient tournés vers elle, c'est comme ça qu'elle avait compris que c'était lui. Elle l'avait reconnu à la manière dont il l'avait regardée.

Hier n'est jamais loinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant