Chapitre 38

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L'heure de grâce était venue : l'heure de se faire maquiller, pomponner et d'essayer son costume. Délia avait hâte. Elle regrettait de ne pas avoir passé plus de temps avec Julien. C'est à peine s'il lui avait dit bonjour. D'un autre côté, ce n'était sans doute pas plus mal. Mieux valait ne pas s'approcher de la tentation.

Sarah serait la première à passer devant la caméra pour la chorégraphie dansante en forêt. Sous une tente, Délia assistait à sa transformation. Ses longs cheveux étaient savamment tressés, puis la natte rabattue sur le haut de son crâne pour créer comme une couronne dans laquelle des mains expertes glissaient des feuilles de lierre, des marguerites et de petites pommes de pin. Quelques mèches ondulaient le long de sa combinaison vert foncé qui moulait sa poitrine et tout son corps d'une façon qui ne laissait guère de place à l'imagination. Mon Dieu, qu'est-ce qu'elle était bien foutue !

– Qu'est-ce que c'est ? demanda Délia en désignant une substance brune et visqueuse qu'on appliquait au pinceau sur les bras de Sarah.

– De la boue. Enfin c'est censé être de la boue. Mais c'est juste de la peinture. Ils vont rajouter des paillettes dorées pour le second plan.

– Je vois. Pour faire croire que la boue est devenue de l'or ?

– Oui, c'est ça. Comment as-tu deviné ?

– C'est dans la chanson de Julien. Tu as l'art de transformer la boue en or. De masquer tous tes torts.

– Ah, la chanson. Je peux te faire une confidence.

Délia l'encouragea du regard.

– Je ne l'ai jamais écoutée, confessa Sarah. Enfin, j'ai entendu quelques bribes à la radio, mais je ne l'ai jamais écoutée en entier. Ce n'est pas mon genre de musique, tu vois. Mais surtout ne le dis pas à Julien, ajouta-t-elle en soulevant son poignet orné d'un bracelet en feuille de chêne.

– Mais pourquoi as-tu accepté de tourner dans ce clip si tu n'aimes pas sa musique ?

– Parce que mon frère me l'a demandé. Il paraît que Julien tenait absolument à ce que je participe. Je ne pouvais pas refuser.

Délia ne pouvait pas croire que ce tournage puisse être une contrainte et que Sarah y soit venue à reculons.

– Tu es consciente que tu es ravissante au moins ?

Sarah gloussa en baissant les yeux vers ses bottes craquelées qui semblaient taillées dans de l'écorce et dont dépassait une multitude de petits rubans semblables à des racines.

– Ils ont fait du bon boulot, admit-elle.

Mais Délia ne parlait pas seulement du costume. Sarah était ravissante en tous points. Et le pire de tout, c'est qu'elle ne paraissait pas en être consciente, ce qui la rendait encore plus ravissante évidemment.

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Alors qu'elle regardait Sarah danser la farandole autour d'un chêne avec une ribambelle de figurants, Délia sentit une main se poser sur son épaule :

– Tu viens ? Il est temps d'enfiler ton costume.

Elle suivit Julien, tremblante et excitée, jusqu'à un local en contreplaqué à côté duquel se trouvait une grue. Elle jubilait à l'idée de se faire coiffer et pomponner comme Sarah.

– Alors tout se passe bien jusqu'ici ? s'enquit Julien en ouvrant la porte.

– Oui. Tout est si magique... fit Délia d'un air rêveur.

– Voilà ton costume qui arrive...

Elle avisa les trois tonnes de plumes poussées sur un chariot qui se dirigeait vers elle. Cela ne pouvait pas être son costume. C'était surdimensionné.

Hier n'est jamais loinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant