Chapitre 30

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Ambre l'attendait à la sortie de la gare. Arnaud n'avait pas pu venir la chercher, car il animait un stage de théâtre pour enfants durant la semaine. Il avait beau commencer à devenir populaire sur les réseaux sociaux, leurs finances se portaient toujours aussi mal. Il ne toucherait pas un centime avant le début du tournage.

– Alors, ma fleur, comment ça s'est passé ? pépia Ambre. Tu as rencontré des célébrités ? Tu as des autographes ? Si tu me dis que tu as croisé Julien Doré ou Vianney et que tu ne leur as pas demandé d'autographe pour moi, je vais devoir te laisser sur le bas-côté de la route.

– Le studio était vide, répondit Délia en bouclant sa ceinture.

Ambre se pencha pour vérifier l'angle de son rétroviseur avec un air déçu.

Elle avait finalement changé son fusil d'épaule concernant Julien, depuis que Délia lui avait raconté qu'ils s'étaient revus lors d'une soirée et qu'elle n'avait rien ressenti. Certes, ce n'était pas l'exacte vérité, mais Délia ne voulait plus recevoir de leçon de morale. Elle n'avait rien fait dans le dos de son petit ami ; elle était donc exempte de tout reproche.

Ambre avait même commencé à éprouver un certain intérêt pour la célébrité de Julien.

– Tu te rends compte qu'on l'a connu avant tout le monde et que j'ai même failli sortir avec lui, avait-elle dit une fois en pointant du doigt un magazine people où figurait une photo de Julien prise à la soirée de lancement d'un smartphone.

Julien regardait vers sa droite, l'air un peu désorienté. Délia aurait parié que si le cadre avait été élargi, on l'aurait vue apparaître avec Arnaud. La photo avait probablement été prise au moment où leurs regards s'étaient croisés ou quelques secondes après. Julien avait un air presque vulnérable sur cette photo dont la légende titrait : « Le rebelle au cœur tendre »

S'ensuivait une brève interview où Julien décrivait sa femme idéale comme une femme de caractère qui saurait lui tenir tête. Concernant les critères physiques, il prétendait ne pas en avoir mais avouait tout de même une préférence pour les yeux clairs.

– Il avait l'air d'un épouvantail à l'époque, avait critiqué Ambre ce jour-là avant de pousser un soupir d'admiration en contemplant la photo : Mais maintenant...

– Je ne trouve pas qu'il ait tant changé que ça, avait rétorqué Délia.

– Oh que si ! Tu ne vois donc pas qu'il est devenu canon ?

– Non, avait affirmé Délia, parce qu'à ses yeux Julien avait toujours été attrayant. Ce n'était pas un fait nouveau.

Délia attendit qu'Ambre soit bien intégrée dans la circulation pour lui annoncer la grande nouvelle. Elle lui décrivit le scénario du clip dans les moindres détails, tandis qu'Ambre hochait la tête avec un air émerveillé.

– C'est trop beau ! siffla-t-elle avec admiration. Tu vas être comme Vanessa Paradis dans la pub pour Coco Chanel. Tu sais, celle où elle sifflote sur une balançoire, déguisée en oiseau.

Délia n'avait pas imaginé sa métamorphose en volatile sous cet angle, mais c'était plaisant de sentir que sa meilleure amie était envieuse pour une fois.

– Tu crois ? Parce qu'il m'a dit qu'il recherchait une Madame Tout le Monde.

– Oh, ça m'étonnerait. S'il cherchait une Madame Tout le Monde, il aurait été la prendre dans la rue.

Elle hurla « Connard ! » en appuyant sur le klaxon pour punir l'abruti qui venait de s'engager imprudemment sur le rond-point.

– C'est juste qu'il est trop orgueilleux pour te dire que tu es sublime, ajouta-t-elle en lui glissant un sourire en coin. Il n'a jamais été du genre à faire des compliments, tu le sais bien.

Délia resta pensive un instant, se perdant dans le flux des voiture qui faisaient vibrer la ville. Cette ville recelait tant de souvenirs. Il lui semblait que si elle se rendait à l'Embuscade, elle verrait l'empreinte de ses pas. Comme si son fantôme rodait encore par là. C'était insensé, bien sûr, mais il lui semblait que cette ville ne pouvait pas avoir oublié la fille et les trois garçons qui avaient égayé ses rues. Certains endroits étaient marqués à jamais.

Elle pensa soudain à Rob et à Thibault qui participeraient au tournage eux aussi et, à l'idée de recréer le groupe d'autrefois, elle fut prise de panique.

– Ça te dirait de tourner dans le clip ? proposa-t-elle, persuadée que si sa meilleure amie l'accompagnait, il n'y aurait aucun dérapage possible.

Mais Ambre jugea qu'elle n'y avait pas sa place, d'autant plus qu'elle n'avait pas été conviée par Julien qui, aux dernières nouvelles, la prenait pour Madame Foldingue.

– Je suis sûre que Julien accepterait. C'est une chanson sur la beauté. Comment tu pourrais ne pas y avoir ta place ?

– Tu sais ce que je veux dire. Ça a toujours été toi et eux. Je n'ai jamais été incluse dans votre groupe. Ce sont tes amis, pas les miens.

Délia ne pouvait pas la contredire sur ce point – elle s'était toujours arrangée pour maintenir Ambre à l'écart des garçons –, mais la présence de sa meilleure amie lui paraissait soudain vitale. Précisément parce qu'elle n'avait jamais fait partie du groupe, elle empêcherait ce groupe d'exister et les vieilles habitudes de refaire surface. Elle tenta d'insister, mais Ambre dégaina un autre argument :

– Ça poserait problème vis-à-vis de mes parents. Ils pensent déjà que je commets un péché en faisant du mannequinat. Si je tourne dans un clip, ils vont appeler un exorciste.

– Ils ne seront même pas au courant.

– Délia, ce clip va être vu par des millions de personnes !

– Arrête, pas des millions.

La parole d'Arnaud lui revint soudain en tête. Julien avait 250 000 amis sur Facebook. Ce n'était peut-être pas des millions, mais c'était déjà trop. Cette donnée ne l'avait pas effleurée lorsqu'elle avait accepté de tourner dans ce clip. Elle n'avait pensé qu'à Rob, Thibault et Julien. Elle n'avait pas réfléchi au fait que la moitié de la Terre était susceptible d'assister à leurs retrouvailles.

– C'est horrible ! gémit-elle en se rencognant dans son siège comme si elle cherchait à disparaître. Le monde entier va me voir.

– Là, c'est toi qui exagères. Tout le monde ne va pas regarder ce clip.

– 250 000 amis sur Facebook.

– Ah oui, quand même... fit Ambre en inclinant la tête. Mais je ne vois pas ce qui t'inquiète. Ça va être super beau ! Tu pourras être fière.

– Tu penses vraiment que je vais être jolie dans ce costume ?

– Évidemment ! C'est super romantique ! Il va te transformer en oiseau ! Qui n'a jamais rêvé d'être un oiseau ?

– C'est un rapace.

– Et alors ? Un rapace, c'est comme un tigre avec des ailes, tu vas incarner la force et la fragilité, le yin et le yang, la grâce et la sauvagerie !

Délia pouffa.

– Je me demande en quoi Julien t'aurait transformée si tu avais accepté...

Ambre pouffa à son tour.

– Je préfère ne pas le savoir. À mon avis, je n'aurais pas eu autant de chance que toi.

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En média : La pub Coco Chanel à laquelle Ambre fait allusion.

Hier n'est jamais loinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant