Délia fut acheminée avec d'autres participants à l'orée d'une clairière sur laquelle veillait une forêt. Elle n'avait toujours pas croisé Rob ni Julien. Quant à Thibault, il s'était volatilisé à la sortie du car, sans doute parce qu'elle avait mis environ un quart d'heure à s'extirper de son siège.
C'était une de ces belles journées d'automne où les quatre saisons semblaient réunies. Le ciel d'un bleu pur, comme au printemps. L'air frais et sec, comme en hiver. Et le soleil triomphant jetant ses feux d'or sur le tapis de feuilles mortes. Délia n'avait jamais beaucoup apprécié l'automne. Mais dans cette clairière, avec toute cette lumière qui faisait briller les ormes, l'automne prenait une autre dimension.
Les feuilles, arrachées par le vent, traversaient la clairière telles des plumes pourpres, oranges, dorées. La nature semblait manifester son désir de contribuer au tournage en y apportant sa touche personnelle. Il aurait suffi de si peu pour abolir la féérie. Il aurait suffi que le soleil et le vent se retirent, que la pluie se mette à tomber et la clairière n'aurait été qu'un champ de boue, les arbres une forêt terne, le lieu serait devenu banal et ennuyeux. Mais cela était inimaginable pour ceux qui découvraient cette clairière à cet instant précis où la lumière, l'automne et le vent se mariaient à merveille, donnant à ce lieu une force d'envoûtement.
On leur annonça que le réalisateur n'était pas encore arrivé et qu'ils étaient autorisés à se détendre en attendant que les préparatifs soient terminés. Délia regarda autour d'elle. Il y avait plusieurs tentes blanches, des locaux en contreplaqué, un attroupement de roulottes et de l'herbe à perte de vue.
Elle se sentait perdue. Elle s'était imaginé que Julien l'accueillerait à bras ouverts, puis qu'il la conduirait jusqu'à Rob et Thibault. Mais elle semblait être traitée exactement de la même manière que les autres figurants.
Au bout de dix minutes à déambuler entre les tentes, elle comprit que le moment était inéluctable.
Assis sur une nappe vichy, Thibault discutait avec un garçon qui avait le nez le plus adorable qui fût. Ce détail frappa Délia, car c'était un fait rare que de contempler un beau nez, de surcroît lorsqu'on l'observait de profil et à distance. Même les garçons les plus charmants perdaient de leur prestige vu sous un certain angle. Mais pas ce garçon. À vrai dire, son profil tout entier était harmonieux, comme si celui qui l'avait dessiné avait appliqué les proportions du nombre d'or. Jamais profil ne lui avait fait si forte impression.
Elle s'avança timidement dans l'herbe avec la sensation que son propre nez faisait dix mètres de long. Le choix de ses chaussures se révéla être une très mauvaise idée. Des escarpins pouvaient sans doute incarner la Dignité sur le sol pavé de la rue des Champs-Élysées, mais sur ce terrain, sa dignité disparaissait aussi profondément que ses talons s'enfonçant dans la terre humide.
Tout lui paraissait soudain bancal : de sa démarche à son nez en passant par cette stupide idée de s'être cachée au fond du bus tout le long du le trajet. À postériori, cela semblait si simple de lever la main lorsque Thibault avait débarqué dans le car et de crier « Salut ! » Plus simple en tout cas que de progresser dans l'herbe sans s'étaler de tout son long et de se présenter comme la Sainte-Vierge miraculeusement télétransportée sous les yeux inquisiteurs de Thibault et du garçon-au-nez-parfait.
Soudain Thibault leva la tête. Elle tressaillit à l'idée d'être repérée. Mais Thibault baissa les yeux et murmura quelque chose à l'inconnu.
Lorsque celui-ci se retourna, toutes les proportions du nombre d'or s'évanouirent en un visage familier. Délia sentit son cœur battre à tout rompre. Elle hésita. Mais le sourire du garçon fit office de confirmation.
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Hier n'est jamais loin
RomanceElle pensait les avoir oubliés... Mais le Passé n'aime pas qu'on lui tourne le dos. En couple depuis cinq années, Délia vit une idylle parfaite avec Arnaud. Mais son cœur a-t-il réellement renoncé à ses trois amours de jeunesse ? Lorsque sonne l'heu...