Chapitre 7

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Carmen n'avait pas toujours connu la Famille du Sud et ses missions périlleuses. Il y eu un temps où elle avait une autre famille, avec un père et une mère, une maison à elle et une certaine insouciance quant à son futur.

Elle avait dû grandir et mûrir rapidement, s'endurcir pour survivre, toujours être en mouvement, ne faire confiance à personne. Comme tout le monde. C'était une vérité qu'elle avait appris bien malgré elle et de façon brutale : il faut être fort pour vivre. 

Etre faible, c'est être mort.

Il avait existé autrefois une époque où « survivre » ne faisait pas partie du vocabulaire des habitants de l'Ile. Il y avait la capitale qui était la seule ville et une vingtaine de petits villages dispersés aux quatre coins de cette terre perdue au milieu de l'océan. Les gens y vivaient des récoltes, de la pêche et de la chasse. Les touristes affluaient du Continent pour voir les paysages idylliques et goûter toutes les spécialités culinaires que l'Ile offrait, les hôtels ont commencés à s'élever du sol et le commerce était à son paroxysme.

Puis vint la chute.

Plus personne ne savait exactement comment cela avait commencé. Ou plutôt ; plus personne ne savait pourquoi on n'avait pas vu les signes de la catastrophe qui s'annonçait. Les habitants étaient peut-être persuadés d'être intouchables sur leur Ile, d'être protégés de tout malheur.

Ce fut la sècheresse qui marqua le début de ce que les Survivants appelleraient plus tard l'Année Noire. Les récoltes s'amenuisèrent et finirent par toutes disparaître. Les denrées alimentaires se firent rares. Puis vint l'épidémie. Au début, ce n'était guère plus que de la toux, des maux de tête et un peu de fièvre. Mais la famine qui avait frappé la majorité des habitants les rendaient vulnérables. La toux devint si forte que l'on commençait à cracher du sang et la fièvre se changea en une véritable folie. Aucun traitement ne fut trouvé, aucun médicament ne fut efficace.

La faim se changea en douleur, la douleur devint de la peur, la peur se changea en colère, la colère poussa les gens à commettre le pire pour survivre. L'Ile, autrefois si prospère, fut ravagée par la guerre civile. Les habitants mourraient pour protéger les maigres biens qui leurs restaient, ou à cause de la faim et de la maladie.

Les autorités décidèrent donc d'abandonner l'Ile. Tous ceux qui n'étaient pas porteurs de la maladie pouvaient monter dans un bateau pour quitter l'Ile et refaire leur vie ailleurs. Tous les malades furent abandonnés, tout comme leurs familles ou ceux qui refusaient simplement de quitter ce qu'ils avaient mis tant d'année à bâtir.

Personne ne savait si le bateau avait atteint le Continent. La seule certitude que l'on avait, c'était qu'on n'avait plus eu de nouvelle de lui et de ses passagers. Et personne ne s'était inquiété du sort de ceux qui étaient restés sur l'Ile.

De ce que Carmen savait de son passé, on le lui avait raconté. Son père avait succombé à la maladie quelques mois avant sa naissance et sa mère, affaiblie par le manque de nourriture, eu juste assez de force pour la mettre au monde et lui donner un nom. Ce fut la sage-femme qui l'avait recueillie et qui l'avait élevé comme son enfant. Elle ne lui avait jamais caché qu'elle était adoptée mais Carmen n'avait jamais manqué d'amour auprès d'elle et de son mari. Elle avait grandi avec peu d'amis. La plupart des enfants de son village étaient soit morts, soit partis à bord du bateau.

Elle grandi toutefois de façon heureuse, même s'il était toujours aussi difficile de trouver de quoi se nourrir. La survie s'était organisée de façon drastique. Il fallait mieux vivre en bande que tout seul. Ce fut à cette période qu'elle apprit la vérité que chaque Survivant avait fini par accepter : être fort ou mourir.

Elle n'avait jamais songé, du haut de ses neuf ans, que ses parents adoptifs étaient faibles. Même maintenant, elle avait encore des doutes. Mais sinon, comment expliquer le fait qu'ils aient été assassinés aussi brutalement pour un petit sac de farine ? Carmen avait pu s'enfuir et avait survécut toute seule dans la nature, une enfant sauvage qui devait sa survie par sa seule détermination et son instinct, réfugiée dans le maquis de la montagne et se nourrissant de racines et du maigre gibier qu'elle parvenait à attraper dans ses pièges.

Ce fut deux ans plus tard, en s'aventurant une fois tout près de la capitale à la recherche d'un abri, sous une pluie battante, qu'elle avait croisé la route de Laurent. Le jeune homme lui avait parlé avec beaucoup de douceur et peu à peu, elle l'avait laissé l'apprivoiser. Il lui avait parlé de sa Famille, la Famille du Sud, une Famille où ses membres veillaient les uns sur les autres et où elle ne manquerait de rien. Elle l'avait suivi.

Et elle ne l'avait jamais quitté depuis.

Survivre dans cette famille, si complexe et si chaleureuse à la fois, était bien rassurant. Carmen avait trouvé des frères et des sœurs sur lesquelles elle pouvait compter. Elle avait trouvé un ami et peut-être même plus en la personne d'Aydan avec qui elle devint très proche. Elle avait trouvé un père en la personne d'Aël et un grand frère en Laurent. Elle s'était pliée à chacune de ses règles et sa loyauté envers lui et la Famille du Sud n'avait jamais faibli.

Comme gage ultime de sa fidélité, elle s'était fait tatouer le symbole de la famille du Sud ; un phénix aux ailes enflammées, sur l'aine gauche.

Car telle était sa vie depuis ses onze ans. Elle était membre de la Famille du Sud, décodeuse hors pair et fidèle à la cause de Laurent. Si on ne s'en prenait pas à elle, elle n'avait aucune raison de se battre. Elle avait appris à le faire et ne se laissait jamais marcher sur les pieds.

Et cette vie-là lui convenait parfaitement. 

CarmenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant