Chapitre 27

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Carmen hésitait entre rendre le contenu de son estomac ou s'évanouir. Pour se redonner une contenance, elle vida son verre de vin d'une seule traite et s'efforça de regarder le Chef de la Famille du Nord avec calme.

- Et vous allez également accuser Aël de ces meurtres, je suppose ?

- Non. Les tueurs étaient des externes de la Famille du Sud. Deux chiens enragés malgré leurs jeunes âges...L'Année Noire, l'évacuation, la survie...Toutes ces épreuves ont blessés nos adolescents et nos enfants, elles les ont irrévocablement fissurés...Soupira tristement Nathaniel.

La jeune fille tressaillit en se rendant compte de qui il parlait. Ça ne pouvait être que Samael et Adonis, les deux psychopathes que Laurent envoyaient sur les membres désobéissants. Ils correspondaient parfaitement à cette description ; deux chiens enragés. Mais contrairement à lui, elle n'avait pas envie de leur trouver une excuse.

Ils aimaient tuer. Voilà tout.

- Pourquoi vous me racontez tout ça ? Demanda-t-elle d'un ton qui se voulait neutre.

Cette fois, ce fut Fiona qui lui répondit :

- Nous voulons simplement que tu te rendes compte à quel homme tu as prêté allégeance. Murmura-t-elle d'une voix douce. Tu as sans doute considéré Laurent comme ton protecteur, ton grand frère. Mais il n'est pas bienveillant. Il ne fait jamais quelque chose s'il ne peut rien y gagner en retour. Il est cruel, calculateur, manipulateur. Il te sacrifierait sans la moindre hésitation si ça peut servir ses intérêts.

- Et dans votre grande mansuétude, vous avez décidé de me sauver de ses griffes ? Répliqua-t-elle en émettant un rire nerveux.

- Je n'irai pas jusque-là. Corrigea Nathaniel. Mon but est de te faire ouvrir les yeux, que tu comprennes à qui tu as affaire. Tu as suivi aveuglément les ordres d'un homme qui a pris le contrôle de l'une des Quatre Familles en recourant au chantage et au meurtre de vingt et une personnes. Certaines étaient plus jeunes que toi. Tu es arrivée après ce massacre, tu ne les as donc pas connus. Peut-être même que tu t'en moques, mais moi, je me souviens de beaucoup d'entre eux ; Annabelle, Cyril, Thierry, Achille, Isis, Léo, pour ne citer qu'eux.

- Est-ce qu'on peut ouvrir la fenêtre ? Chuchota Carmen. Je ne me sens pas très bien...

Sans attendre de réponse, elle se leva et ouvrit la fenêtre la plus proche. Elle passa la tête au-dehors et prit une grande respiration. L'air du soir s'était rafraîchit et une légère brise s'était levée. Carmen ferma les yeux et sentit le calme revenir en elle. Fiona se leva à son tour et posa une main apaisante sur son épaule, dans un geste presque maternel. Carmen hésitait à la repousser. Elle ne savait pas ce que signifiait son geste, le faisait-elle pour la rassurer ou simplement pour s'assurer qu'elle ne tentait pas de s'échapper par la fenêtre ? Mais Carmen n'était pas en état d'élaborer un plan pour s'enfuir.

Elle n'avait pas envie de croire une seule des paroles de Nathaniel. Toute cette histoire avait été inventée de toute pièce pour qu'elle remette en doute l'autorité de Laurent. Pourtant, lorsqu'il avait prononcé le nom des soi-disantes victimes, elle avait lu dans ses yeux une infinie tristesse, comme celle qu'un parent peut ressentir à la perte de son enfant. Ça, elle ne l'avait pas inventé. Ou alors, Nathaniel était un formidable comédien.

Elle retourna à sa place. Sans demander la permission, elle se resservit d'un autre verre de vin et en but une longue gorgée.

- Et maintenant ? Demanda-t-elle dans un murmure. Qu'est-ce que vous comptez faire de moi ?

- Comme je te l'ai dit lors de notre première rencontre, nous n'avons pas de décodeuse. Tes talents nous seraient très utiles.

- Pour cela, il faudrait d'abord que j'accepte. Rétorqua-t-elle. Et ma réponse est non.

Un lourd silence s'installa dans la pièce. Nathaniel la regardait à présent avec un mélange de pitié et d'incrédulité.

- Tu refuses de trahir un homme qui a tué vingt et une personnes ?

- Je refuse de trahir un homme à qui je dois tout. Corrigea-t-elle. Je n'ai aucune preuve des accusations que vous portez sur Laurent et Aël. Alors, non. Je ne trahirais pas la famille du Sud.

Nathaniel poussa un long soupir :

- Je finirai par te faire changer d'avis.

- Je ne pense pas, non.

Cette fois, un sourire moqueur se dessina sur ses lèvres.

- Tu peux me mentir si tu le souhaites. Mais ne te mens pas à toi-même. Au fond de toi, cette histoire t'a ébranlée, je le vois bien. Et je n'ai jamais essuyé le moindre échec.

- Je vais faire exception à la règle. Je ne suis pas aussi influençable que les autres.

- On est tous influencé, d'une manière ou d'une autre. Dans ton cas, tu es influencée par Laurent. Et son emprise sur toi est plus conséquente que je ne pensais. C'est presque effrayant !

Elle ne répondit rien, se contentant de fixer ses genoux. Des coups frappés à la porte retentirent soudain.

- Entrez ! Invita Fiona d'une voix claire.

Sergueï entra dans la pièce. Son regard clair se posa successivement sur Nathaniel, Fiona et Carmen. Mais c'était sur la jeune fille que toute son attention était focalisée.

- Avez-vous terminé ? Demanda-t-il poliment sans la quitter des yeux. Je peux repasser plus tard, au cas où.

Nathaniel lui fit un signe de main pour qu'il s'approche.

- Nous en avons fini...Pour le moment. Tu peux la raccompagner dans sa chambre.

- Bien.

Il retourna vers la porte et s'arrêta sur le seuil, s'apercevant qu'elle n'avait pas bougé de sa place. Il lui lança un regard interrogateur par-dessus son épaule :

- Tu viens ?

Elle se leva rapidement et dévisagea Nathaniel et Fiona. Elle ne savait pas ce qu'elle devait leur dire. « Merci pour cette soirée »? Elle n'avait pas été réjouissante. « Merci pour vos explications »? Ça non plus, elle n'avait pas envie de le dire. Finalement, elle se contenta d'un signe de tête dans leur direction et guise de salut et suivit Sergueï hors de la pièce.

Sur le chemin du retour, ils marchèrent à nouveau côte à côte, lentement.

- C'est allé ? Demanda-t-il.

- A ton avis ? Marmonna-t-elle.

Une part d'elle-même n'avait pas envie de parler, préférant ruminer ses pensées jusqu'à l'étouffement. Mais une autre partie de son cœur avait envie de craquer, de fondre en larme et de se confier à cet homme, le seul qui semblait éprouver de la compassion pour elle et qui ne la jugerait pas.

- J'ai entendu...des choses horribles. Céda-t-elle,

- Ah. Tu veux en parler ?

Elle haussa les épaules, indécise. Sergueï n'insista pas.

Il la reconduisit à sa chambre. Au moment de la quitter, il demanda encore :

- Tu es sûre que ça va aller ?

Il avait l'air sincèrement inquiet pour elle.

- Je crois.

Il s'approcha d'elle. Il passa un bras autour de ses épaules et l'attira contre son torse, dans un geste de réconfort. Surprise, elle se laissa faire. Mais il la relâcha très vite et s'éloigna d'elle. Il lui fit un bref sourire et quitta la chambre en refermant la porte à clé.

Carmen attendit que ses pas se soient éloignés dans le couloir pour s'effondrer à genoux sur le tapis. Elle fut prise de violents tremblements et commença à hoqueter.

Pour la première fois depuis des années, elle autorisa ses larmes à couler.


CarmenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant