Une faible douleur lointaine me tiraille encore le bas-ventre. Mais c'est normal, d'après le médecin que j'ai rencontré juste avant de sortir.
Normal. Il a utilisé le mot normal. Mais il ne sait pas tout, sinon il aurait choisi une autre formulation. Genre "mécanisme naturel de votre corps humain" ou alors "automatisme corporel", j'en sais trop rien, c'est lui qui a fait 10 ans d'études, pas moi.
La seule chose normale, qui va se produire aujourd'hui, c'est que le monde va continuer de tourner, que les gens vont sortir à minuit ce soir, voir le feu d'artifice sur les Champs, s'abreuver de champagne à en dégueuler le lendemain, se jeter comme des porcs sur des petits fours, sortir leurs plus belles fringues ; la petite robe pour les filles, le nœud pap' pour les mecs.
Je me rappelle avoir été conviée à une soirée, chez Hélène, ma collègue. À une autre, pour accompagner Elisa, une très bonne copine, enceinte jusqu'aux dents. Mais me rendre à une de ces fêtes n'arrive pas à me rendre ne serait-ce qu'un mini sourire, me faire suffisamment oublier pour aller bâfrer, picoler et faire semblant d'être heureuse.
Assise sur mon strapontin favori du métro, favori parce qu'il me permet de voir toutes les entrées et sorties des usagers, appuyer ma tête contre la vitre et observer le plafond dont la peinture se barre en lambeaux, comme ma vie ; je souffle tandis que je sens l'arrière de mon crâne frapper la paroi froide vitrée. Je réprime une larme, celle qui m'afficherait face à tous ces inconnus qui m'entourent subitement. Et qui leur ferait savoir que je ne suis pas dans mon assiette, ce soir. Et je refuse qu'on me perçoive comme une petite meuf, fragile, qui chiale comme une gamine, le soir du réveillon.
Alors que l'heure est à la fête.
D'ailleurs, en parlant de fête, un texto s'affiche sur mon téléphone
Ma grosse, jsp si tu fais un truc ce soir, mais j'ai un plan pour une fiesta dans le 15e. dis oui, viens avec moi :)
Le message vient de Gaétan, celui qui occupe une grosse partie de ma vie à plein temps, au poste de "Meilleur Pote pour la Vie". Sans coup de canif au contrat, depuis l'âge de nos 3 ans. Rencontre de bac à sable, comme disent nos vieux respectifs. Je crois bien même que la première fois que je l'ai rencontré, à l'école maternelle, je lui ai fait bouffer du sable, tout ça parce qu'il s'était moqué de ma coupe garçonne.
La même que j'ai encore, 27 ans plus tard. Sauf que maintenant, il ne dit plus rien sur ma coupe, il s'y est fait. Et j'ai arrêté de lui faire bouffer du sable. Juste mes ignobles plats tout préparés que je lui sers quand il passe à l'impro à l'appart.
L'appart... ce même endroit, qui m'attend. Froidement, sans âme. Mais j'y ai ma vie, celle que j'ai construite, seule, puis à deux, les dix dernières années.
Je vais devoir y retourner. Mais pas ce soir. Pas de suite.
Ok. Le temps de détourner ma rame, et je suis chez toi :)
En me relevant, attendant que les portes s'ouvrent sur le quai de la station où j'ai encore le temps de faire demi-tour avant de me taper tout le réseau RATP, j'observe mon reflet. Outre ma gueule blafarde, les traits tirés et les maxi valoches sous les yeux, y a aussi ma tenue à revoir qui fait pas du tout réveillon. Ou alors si, mais celui des ploucs.
Tant pis, ils n'auront qu'à me prendre dans mon jus.
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- Salut toi !
- Mon Gaga !
- Quand je dis grosse fiesta, je dis grosse fiesta. Pas petit goûter chez les zombies hein !
- Désolée...
Je fixe le sol, et ne peut réprimer un long sanglot. Un de ceux qui déchirent les tympans. Surtout ceux de Gaétan, venu me serrer dans ses bras, non sans me briser le squelette dans son intégralité. Au point où j'en suis, mon corps est au bout du rouleau, ce n'est pas une "multiple fracture" qui va m'achever, non ?
- Je suis sûr que t'as une bonne raison de débarquer chez moi en vieilles guenilles pour un 31 décembre, et en chialant en plus. Je cherche le breuvage magique et tu me racontes tout ?
J'essuie grossièrement mes larmes salées et brûlantes autour de mes orbes, adresse un léger sourire à mon ami de toujours, ôte mes baskets et cours me réfugier dans son canapé. Le Frieheten de la saison précédente. Modèle Skiftebo beige. À l'assise moelleuse, aux coussins confortables et parfait pour venir s'y affaler, et rester ici des heures.
Ce qui a le don... avait, pardon, le don de l'énerver. Que je passe plus de temps avec Gaétan qu'avec lui. Soi-disant, parce que jusqu'à preuve du contraire, j'ai toujours été là pour lui. C'est lui qui s'est barré.
- Original ou Tagada ?
Gaétan m'interpelle depuis sa kitchenette, où il est en train de nous confectionner deux Mojitos, sa spécialité. Depuis qu'il a tenté la version Haribo, avec des fraises Tagada, il en est devenu fan et essaye de m'en refourguer à chaque fois qu'il dégaine son breuvage magique.
Va-t-il suffire ce soir ?
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- T'es sûr qu'on va pas me jeter si on me voit arriver comme ça ?
Gaétan me scanne, de haut en bas, lève les yeux au ciel au moment de s'arrêter sur mon vieux jogging Umbro, qui tombe négligemment sur mes Air Jordan déglinguées à souhait. D'habitude, pour sortir, je claque la robe, les escarpins, le petit blazer et je maquille ma gueule de sorte à être sortable. Mais pas ce soir.
Ma tenue du jour, était celle dans laquelle j'errais chez moi depuis trois jours. Pour ce que j'ai eu à faire aujourd'hui, je n'ai pas vu l'intérêt d'en changer. Je voulais être confortable et ne pas avoir peur de me salir. Je savais ce qu'il m'attendait, ce n'était pas la première fois.
Je n'ai juste pas trouvé la foi suffisante pour retourner chez moi, et me changer. J'ai juste pris une douche dans la petite salle de bain accolée à ma chambre allouée pour la journée.
J'ai suivi Gaétan ce soir, parce qu'il tenait absolument à me sortir, m'aérer, voir du monde, et oublier ce qu'il venait de m'arriver, à coup d'alcool fort, dans cet appartement blindé de monde du 15e.
- Si quelqu'un te dit quelque chose, je serais pas loin, je lui éclate sa gueule et on en parle plus.
- Je vais me faire petite, squatter le bar, et à minuit, je me rentre, t'inquiète.
Je n'ai de toute façon pas la force nécessaire pour faire autre chose. Venir ici m'a déjà demandé beaucoup d'énergie. Dans le pire des cas, je trouverais un pieu libre, m'y glisserai ni vu ni vu et je pieuterais, dans l'indifférence générale.
- Dis pas de bêtises, tu vas voir, j'ai déjà fait 2-3 soirées avec eux, tu vas pas t'ennuyer. Et si ça va pas, tu me dis, je t'appellerais un taxi.
- Un soir du 31 ? Ah, ah. T'en fais pas pour moi, Gaga, je me gère déjà toute seule.
Au moment de pénétrer dans l'appartement après qu'un grand black soit venu nous ouvrir, je crois entendre maugréer mon meilleur ami :
- C'est ça...
Je le laisse passer devant, un peu vénère après lui qu'il puisse me croire incapable de gérer ma vie seule. La preuve, je suis encore debout. Je pourrais être en train de me terrer dans un asile psychiatrique, après avoir pété un plomb pour acte de traitrise d'une cruauté sans nom, mais je suis là.
Prête à me la coller, avec de parfaits inconnus.
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Vous inquiétez pas, ça vient... Je pose juste les bases pour ce chapitre !
à vendredi !!
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Renaissance
أدب الهواةDes fois, dans la vie, tout ne se passe pas comme on l'aurait imaginé. Ne le dites pas à Justine, elle risquerait de ne pas vous vouloir que du bien. Elle l'a bien compris, qu'on n'a pas toujours ce qu'on veut. Et vit avec cette foutue idée comme e...