Les Égouts de Pilikili

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 Éclairés par la Lune, ils errèrent dans Pilikili comme des âmes en peine. Baptiste serra si fort son arme qu'elle en brûlait sa paume de mortel.

Le moindre bruit suspect les faisait tressaillir. La moindre ombre mystérieuse leur glaçait le sang. Ils marchèrent en silence en regardant tout autour d'eux, yeux écarquillés par la peur et la méfiance, entre les demeures abandonnées.

Mathys toquait souvent au porte des maisons, pour voir si des gens étaient encore là. À part un silence morbide ou des cris leur ordonnant de déguerpir, personne ne leur ouvrit.

Ce calme les faisait progressivement sombrer dans la folie. L'Empereur des dragons n'entendit que les battements de son cœur d'humain, tambour bruyant et douloureux. Le groupe continua de faire du porte-à-porte, avec l'espoir de rencontrer un villageois qui ne les prenait pas pour le monstre en question.

— Bonsoir ! cracha Mathys en toquant à une porte. Désolé, je sais qu'il se fait tard, mais j'aimerais savoir si vous pouviez nous ouvrir, juste quelques secondes. Et non, nous sommes pas ce monstre qui enlève tout le monde, nous sommes des humains. Des humains parfaitement normaux.

Aucune réponse. Le chasseur lâcha un soupir de frustration avant de toquer de nouveau :

— Allez, ce n'est pas drôle ! On est là pour lui foutre une raclée, à ce monstre, mais...

Mathys attrapa la poignée, il se tut soudainement. Justine et Baptiste s'approchèrent, inquiets comme curieux. Le chasseur se tourna vers eux puis déclara :

— Elle est ouverte.

La bouche de la sorcière s'ouvrit, mais aucun son ne sortit. Le chasseur poussa alors la porte avant de rentrer dans la demeure noyée dans les ténèbres. Les deux autres le suivirent.

La lumière lunaire dévoilée une pièce, probablement un salon, totalement vide. À part un poêle dans un piteux état et une chaise qui semblait bancale, rien ne l'animait. Pas même un humain.

Mais pourquoi la porte était-elle ouverte ? Mathys plissa les yeux, sceptique.

— C'est probablement la maison de la toute récente victime, conclut—il d'une voix froide. On arrive trop tard.

Justine jura en ancien langage. Baptiste préféra rester silencieux. Ils sortirent dans le calme, Mathys referma la porte derrière lui.

— Oui, et maintenant ? fit l'Empereur des dragons. On fait quoi, du coup ?

— Bonne question, répondit le chasseur après un soupir. Mais une chose est sûre, on ne part pas d'ici sans avoir eu sa peau.

— Tu rigoles ?! J'ai une forme originelle à retrouver, moi !

— Roh, excuse—moi, monsieur « je-suis-un-dragon-donc-on-doit-faire-ce-que-j'ai-dit-de-faire », mais on va rester là jusqu'à que ce monstre soit à mes pieds, baignant dans son propre sa...

— LES GARÇONS ! REGARDEZ !

Ils tournèrent brutalement la tête vers où l'index de Justine pointait, si brutalement que le cou de l'Empereur des dragons craqua dans un bruit sourd. Il se tint la nuque, une douleur sombre le chatouilla, sans lâcher des yeux l'endroit que la sorcière désignait.

Mais il n'y avait rien, à part une rue déserte, abandonnée. Les deux garçons se tournèrent vers elle, perplexes.

— Il y a quoi à voir ? demanda Mathys, non-ironiquement.

— J'ai vu quelque chose, articula-t-elle, je... oh et puis zut ! Suivez-moi !

La sorcière s'élança dans la rue, l'Empereur des dragons et le chasseur suivirent ses pas. Ils retrouvèrent Justine penchée face à une plaque de fer, ancrée dans le sol entre les dalles de pierre.

— La plaque était relevée il y a quelques secondes, assura la sorcière en levant les yeux vers Baptiste et Mathys. Quelque chose la remise en place !

— Tu voudrais dire que le monstre viendrait... des égouts de la ville ? questionna le chasseur.

Elle hocha la tête, sourcils froncés, sûre d'elle. Les deux garçons rivèrent leur regard sur la plaque de fer, Mathys se craqua l'arrière de la nuque.

— Bon... pas le choix, fit-il avant de s'agenouiller. On va voir ça.

— On va vraiment y aller ? lança l'Empereur des dragons, en essayant de cacher du mieux qu'il le pouvait son dégoût.

— J'ai dit qu'on n'avait pas le choix, t'es sourd ?

— Oui, je suis sourd. Ça te dérange ?

Le sarcasme de Baptiste fit lever les yeux de Mathys au ciel. Le chasseur attrapa la plaque de fer et la souleva en tirant d'une façon brutale, avant de la balancer derrière son épaule. Ils se penchèrent tous vers où la plaque menait.

Ce qu'ils virent fut l'obscurité totale, les ténèbres absolues. Justine marmonna quelque chose, une boule de feu naquit dans le creux de sa main, elle la pencha vers l'accès aux égouts. La sorcière décida alors :

— J'y vais en premier. J'éclairerai le chemin.

— D'accord, accepta Mathys, si tu veux. T'as du courage, dis-moi.

Elle lui répondit en haussant les épaules, avant de pénétrer dans les ténèbres des entrailles de la ville, grâce à une échelle solidement accrochée à une paroi en pierre. Baptiste et Mathys la regardèrent descendre jusqu'à qu'elle se noie dans l'obscurité omniprésente.

— J'y suis ! cria une voix, celle de Justine, au fin fond des égouts. Venez !

— À toi l'honneur, fit gentiment Baptiste à Mathys.

Le chasseur le jugea du regard avant de rétorquer :

— Non, non, passe avant moi. Ça serait regrettable de descendre et de t'attendre pour rien, car tu en aurait profité pour déguerpir.

— Moi ? Faire ça ? Jamais.

— Tais-toi et vas-y.

— Je ne suis pas assez stupide pour abandonner la sorcière qui pourrait me sortir de cette situation, répondit l'Empereur des dragons avec calme.

— Arrêtez vos sottises et descendez ! hurla cette dernière. Nous nous en fichons, de qui passe en premier !

Les deux garçons soupirèrent en même temps. Ils se regardèrent, Mathys pointa du doigt l'accès aux égouts, en fronçant les sourcils. Baptiste grogna avant de se pencher vers le trou puis de s'agripper à l'échelle. Il descendit avec prudence, tenant son couteau entre ses dents d'humain, avec le réflexe idiot de regarder en dessous de lui.

Mais il ne voyait rien, à part le noir parfait. L'Empereur des dragons inspira pour essayer de se concentrer, mais ce fut l'apparition d'une vive lumière qui le soulagea définitivement.

Quelques secondes plus tard, il était à côté de la sorcière, toujours avec sa boule enflammée dans la main. Une odeur nauséabonde lui agressa l'odorat, Baptiste se pinça le nez et fit, d'une voix plus aiguë :

— Ça pue !

— Bienvenue dans des égouts, dit Justine. Ce n'est pas réputé pour sentir la rose, tu sais.

Quelque chose s'écoulait, juste à côté d'eux, comme une rivière souterraine. La lumière de la sphère de feu mettait en valeur un courant d'eau rapide, à la couleur assez... surprenante. L'eau semblait plus sombre, brunie.

Puis Mathys fit son apparition, il regarda tout autour de lui. Le groupe resta immobile pendant un court moment, ne sachant pas quoi faire.

— Et maintenant ? s'impatienta Baptiste. Qu'on élimine ce foutu monstre pour qu'on puisse sortir de là au plus vite.

— Oui, mais... où faut-il aller ? fit alors la sorcière. À droite ou à gauche ?

— Les égouts doivent pas être immenses, supposa le chasseur. Suivez-moi.

La sorcière et l'Empereur des dragons hochèrent la tête, Mathys décida d'aller à droite. Justine se hâta de se mettre devant eux, afin de leur éclairer le passage.

Un grondement lointain surgit, mais ils n'arrêtèrent pas d'avancer pour autant.

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