Untameable

Petit Contretemps

 Baptiste avait directement renoncé à essayer de compter les jours qui passaient, à bord de La Rotten Dove. Les journées et les nuits défilaient devant ses yeux sans lui laisser la chance d'avoir la moindre notion du temps.

L'impatience le rongeait de l'intérieur. L'Empereur des dragons ne faisait que scruter l'horizon, à la recherche de cette fameuse Île Désolée, désespérément. À chaque fois que ses yeux rencontraient un bout de terre coupé du monde, Baptiste tournait puis levait le regard vers le lieutenant Keish, avec l'espoir que ce fût elle. Mais l'impassibilité sur le visage de l'homme lui dévoilait qu'il s'était, encore une fois, trompé.

Tous les jours, l'Empereur des dragons attendait au même endroit, dans la même position : penché en avant, les bras sur le pavois en bois moisi, une main soutenant sa tête en s'appuyant contre son menton, les yeux perdus au loin. Personne ne venait lui parler, mais Baptiste s'en souciait peu.

Mais ce jour-ci, le ciel était gris et triste. L'Empereur des dragons se demanda si la pluie allait s'abattre sur le navire ainsi que sur l'océan. Il entendait, au loin, la colère des cieux qui se défoulait sur le monde. Baptiste lâcha un soupir.

Il était tellement perdu dans ses pensées, à se demander dans combien de temps allait-il de nouveau pouvoir revivre sa vie de dragon, comment allait-il parvenir à tuer le Mage Obscur pour retrouver son corps, que Baptiste ne fit pas attention à la présence de la nécromancienne. L'Empereur des dragons sursauta en lâchant un petit cri de surprise quand il sentit une main sur son épaule. Il virevolta avec vitesse, les yeux écartés par la stupeur. Morgane leva un sourcil avant d'étouffer un rire amusé.

— Bah alors ? commença-t-elle, un sourire en coin peint sur le visage. J't'ai fait peur ?

— Tu m'as surpris, nuance.

— C'est ça, c'est ça.

La capitaine se mit à sa gauche, les bras sur le pavois de La Rotten Dove. Tous les deux regardèrent le Targnentho en silence, bercés par le fracas des vagues contre la coque du navire. Alors que Baptiste s'apprêtait à replonger dans les profondeurs de ses réflexions, Morgane lança :

— C'est beau, hein ?

— Hm ? De quoi ?

— L'Targnentho.

— Ah, oui, lança l'Empereur des dragons, gêné de ne pas savoir quoi réellement répondre.

— J'présume que c'n'est pas ton délire, l'océan et la flotte, continua la nécromancienne. Les dragons n'doivent pas trop apprécier ça.

— Certains aiment. Les dragons de glace, par exemple. Ou tout simplement ceux de l'eau.

— Ah ouais ? Y a plusieurs types de dragons ?

— Bien sûr... des dragons de glace, d'eau, de terre, et j'en passe...

— P'tain, c'est génial en vrai, déclara Morgane.

La nécromancienne fit craquer son cou, juste avant une violente quinte de toux qui semblait meurtrir sa poitrine. Elle jura avant de dire, en regardant Baptiste :

— T'es un dragon d'quoi, toi ?

— De feu. Le plus puissant de tous.

— Ah bah oui, logique, j'suis conne. Tu craches du feu, obligé que t'sois un dragon d'feu. Enfin...

— Sinon, questionna-t-il, sais-tu où sont les autres ?

— L'chieur me collait aux bottes il y a, genre, cinq minutes j'crois, raconta la nécromancienne. Justine lui a dit d'me lâcher un peu et que, apparemment, elle avait un truc à lui dire. Par contre, Mathys, je n'sais pas. Il doit être dans la cale, lui, j'suppose.