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Jordan se tripota les doigts sans les regarder. Elle jeta un coup d'œil furtif à la tonne de dossiers sur son bureau qui l'attendait avec impatience, avant de finalement frapper son bureau des deux mains et de commencer à rédiger à la main les informations que lui fournissait son cadet.

— Comment le connais-tu ? demanda Sébastien, avide d'en savoir davantage.

La commandante, qui avait les yeux collés sur ses papiers, les leva vers lui. Son frère la fixait du regard.

— Comme ça, lâcha-t-elle sans réfléchir tout en poursuivant sa rédaction, le crayon compressé par ses doigts.

Elle savait qu'elle ne devait pas communiquer sur sa nouvelle affaire en cours. Mais elle était également consciente que son frère n'était pas dupe et qu'il allait se douter de quelque chose. Il était bien trop évident pour lui qu'elle n'avait pas mentionné ce nom au hasard.

— Toi, tu ne me dis pas tout, je me trompe ?

Jordan soupira tout en regardant son frère dans les yeux. Comme prévu, il la suspectait de lui dissimuler ce qu'elle savait. Toutefois, elle avait déjà trouvé sa parade, un grand classique : celle de changer immédiatement de sujet.

— Longue histoire. Dis-moi pourquoi Marion t'a parlé de ce type.

— Bah apparemment, il harcelait Pauline. Il voulait la récupérer, enfin, il était toujours amoureux d'elle, c'est ce qu'il criait sur tous les toits. Pauline en parlait beaucoup à Marion... Le fait qu'il ne la lâchait pas d'une semelle et que ça la saoulait de plus en plus. Du coup, Marion m'avait demandé ce que Pauline pouvait bien faire. Évidemment, je n'en savais rien, moi. Je ne voudrais pas mettre l'huile sur le feu mais vu les échos que j'ai reçus à son sujet, ça ne doit pas être un mec très cool.

— OK, intéressant. C'est tout ? D'autres détails inhabituels, d'autres anecdotes dont Marion t'aurait fait part, même à première vue insignifiantes ?

Sébastien Fontana fit non de la tête avec un air désolé. Pensif, il balaya le bureau de sa sœur du regard, sans but précis. Un petit sourire, furtif, s'afficha sur son visage.

— À chaque fois que je vais la voir, Maman me parle de Papa. J'y ai encore eu droit ce week-end. Philippe par-ci, Philippe par-là... Que l'on trouve le meurtrier ou non, je crois qu'elle ne s'en remettra jamais. (Il fit une courte pause) D'ailleurs, elle te reproche de jamais venir la voir. Et elle aimerait beaucoup qu'Ellie et toi arrêtiez de vous faire la gueule. Tom et moi aussi, par la même occasion. Ça fait trop longtemps que ça dure.

Lorsqu'il mentionna le nom de leur sœur aînée, le sang de Jordan se glaça aussitôt. Cela faisait six bonnes années que le contact était rompu. Ellen avait trente-quatre ans et vivait toujours aux États-Unis. Elle ne venait en France que rarement mais tâchait d'appeler très régulièrement sa mère et ses frères. Elle était professeure des écoles à la Georgetown Day School, à Washington, D.C., et mariée à Peter Walsh qu'elle connaissait depuis l'université. Ils étaient parents de deux petits garçons, Kyle et Andrew, âgés respectivement de six et deux ans. À son grand dam, Jordan avait très peu vu ses neveux. Son frère cadet avait eu plus de chance ; il avait eu l'occasion de les voir durant son année sabbatique, entre 2014 et 2015.

— Ce n'est pas à moi qu'il faut dire ça. C'est elle qui refuse de me parler. Comme si tout ça avait été ma faute.

Jordan se rappelait parfaitement le jour où toutes deux avaient cessé de s'adresser la parole, comme si cela datait de la veille. Tout cela à cause d'une triste affaire dont le FBI s'était occupé... L'origine du conflit.
Six ans auparavant, cinq femmes dont l'âge variait de vingt à trente ans avaient été enlevées, torturées, atrocement mutilées et exécutées froidement d'une balle dans la tête pour enfin être abandonnées dans des bennes à ordures. L'auteur de ces crimes, Mark Anderson, était un collègue et ami proche d'Ellie. Il menait pourtant une vie des plus banales, ce qui le rendait insoupçonnable. Après que la sœur aînée de l'agent spécial Fontana eut malencontreusement découvert le pot-aux-roses quant à ses activités criminelles, il l'avait kidnappée et il comptait l'éliminer – à contrecœur – afin de s'assurer qu'elle ne le dénoncerait pas. Jordan, arrivée à temps où il la détenait, avec deux de ses anciens collègues du FBI, était l'agent qui était entré en duel avec Anderson. Tous deux avaient appuyé sur la détente. Tous deux s'étaient pris une balle, mais Anderson avait succombé à ses blessures. Toute la scène s'était déroulée sous les yeux terrorisés d'Ellie qui, malgré tout, avait été horrifiée par la situation, en dépit du fait que son ami était un tueur en série. Tout le monde avait assuré à Jordan qu'elle avait bien fait et agi comme il l'avait fallu. Tout le monde.
Sauf Ellie.
Pour elle, Anderson méritait un procès. Puis la prison, « comme tout criminel », avait-elle précisé. Il avait rendu l'âme avant même son arrivée au Massachusetts General Hospital. Jordan avait eu beau lui expliquer qu'elle aurait pu faire office de sixième victime, elle ne voulait rien entendre.
La commandante de police était constamment hantée par cette regrettable nuit où tout avait basculé entre Ellie et elle. Depuis, rien n'était plus pareil, et cela la rongeait.

TOME 1 : LE SANG DES ROSESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant