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Dans la voiture banalisée que conduisait Éric, on pouvait facilement entendre les mouches voler. Robin et les lieutenants Belmont et Haussmann surveillaient le quartier de la Goutte-d'Or sans mot dire. Ce secteur populaire de Paris souffrait d'une grande insécurité liée à la délinquance, à la prostitution et surtout, au trafic de drogue et de cigarettes. Si Laura, Manon et Alicia étaient consommatrices de stupéfiants, cet endroit devait figurer en haut de la liste des quartiers qu'elles fréquentaient. L'agent du FBI se demandait ce qui avait pu pousser ces jeunes filles en apparence si innocentes à se tourner vers ce milieu.
Lisa, assise à l'arrière, ne put contenir plus longtemps sa fatigue et se mit à bailler. Cela fit sourire Éric, dont les yeux ne quittaient pas la route. Le regard de Robin s'était perdu sur les trottoirs de Barbès sur lesquels il n'était pas difficile de reconnaître les toxicos, des gamins à la dérive que la lumière de l'espoir avait quittés sans vergogne.

Les ripeurs et l'agent fédéral ne comptaient pas les minutes qu'ils passaient à observer et interroger les jeunes toxicomanes qui fréquentaient les rues sombres et malfamées du quartier. Sauf le fait que Laura était bien connue dans le coin, ils n'apprirent rien qui puisse orienter l'enquête vers une piste sérieuse. Alicia et Manon n'avaient jamais été vues dans le secteur, et encore moins un individu ressemblant à Michael Anderson. À leur grand dam, les trois enquêteurs faisaient chou blanc.
Robin feuilleta son petit carnet de notes et relut les divers gribouillages qui avaient noirci les feuilles. Il poussa un léger soupir tout en butant sur certains mots : fentanyl, crack, héroïne. Des drogues dont le risque de dépendance est très élevé. Des questions fourmillantes tourmentaient l'Américain : quel rapport avec les meurtres ? Et ceux de Boston ? Le tueur serait-il lui aussi mêlé au milieu stupéfiant ? Où placer l'affaire Anderson dans ce méli-mélo ?

Ce fut la voix d'Éric qui mit un terme aux pensées de Fontana de façon aussi soudaine qu'impromptue.

— C'est pas Marsac, là-bas ?

Lisa se redressa de son siège. Son collègue désigna du menton un jeune homme qui, sans nul doute, se remplissait les poches de gros billets que venait de lui céder une jeune fille. En apercevant celle-ci, la ripeuse la reconnut.

— Arrête-toi deux minutes.

— Je ne vais tout de même pas m'arrêter en plein milieu de la chaussée ? hésita alors Éric. Déjà qu'on va faire fuir tout le monde...

— T'as qu'à te ranger près du trottoir, là.

Sans protester davantage, le lieutenant Belmont s'exécuta. Il mit le frein à main, coupa le moteur avant de descendre de la voiture. À leur tour, Robin et Lisa quittèrent le véhicule. Les trois compagnons d'infortune emboitèrent le pas d'Adrien Marsac et de la jeune fille. Les deux flics et l'agent spécial se rapprochèrent d'eux, et Éric finit par tapoter gentiment sur l'épaule de Marsac.

— Monsieur Marsac, ça faisait longtemps.

— Mademoiselle Robert, tiens donc, renchérit Lisa.

Adrien Marsac et Amélie Robert se retournèrent vivement, de toute évidence surpris par la présence de la police. La meilleure amie de Laura Delcourt écarquilla les yeux et parut tout à coup mal à l'aise. Non sans avoir crié « LES FLICS ! » au préalable, Marsac se lança dans une course folle. Le lieutenant Belmont pesta puis poursuivit le jeune homme qui courait aussi vite qu'un lièvre, tandis que Lisa gardait un œil sur Amélie tout en lui empoignant le bras. Robin haussa les épaules et s'emmancha dans une rue adjacente, tout en demandant à Lisa d'amener Amélie jusqu'à la voiture et d'attendre.

Éric longea les rues en tentant de rattraper Marsac, lequel avait l'habitude de semer la police. Le cinquième de groupe n'avait pas l'intention de le laisser filer. Il ne quittait pas le fuyard des yeux ; il manqua de bousculer passants et toxicomanes qui traînaient dans le coin. Brailler « Police ! Arrête-toi ! » ne servait visiblement à rien. Le fuyard poursuivit sa course. Éric le perdit presque de vue mais au loin, il vit Marsac trébucher. Le ripeur, qui continuait de courir, se rapprocha peu à peu du jeune homme. Il aperçut Robin Fontana émerger de la rue adjacente ; ce dernier fit relever Marsac et l'empoigna par le bras.

— Alors, Monsieur, on est pressé ?

L'agent du FBI jeta un œil à un Éric Belmont courbé, qui reprenait son souffle et le remercia d'un signe de tête. Marsac, dont les mains endolories étaient éraflées, fusilla Robin du regard.
Après avoir repris ses esprits, Éric notifia à Marsac sa mise en garde à vue à compter de cet instant. Ils regagnèrent la voiture banalisée devant laquelle Lisa se tenait encore. Amélie Robert, depuis la banquette arrière, observa l'extérieur et distingua Marsac, menotté, escorté par Éric et Robin.

— Belle pêche, sourit Lisa.

— Tu parles, je m'en serais bien passé, commenta son collègue qui l'avait mauvaise. Allez, monte, ajouta-t-il à l'attention d'Adrien Marsac.

Éric le fit monter dans la voiture, à côté d'Amélie qui, elle, n'était pas menottée.

— Qu'est-ce qu'on fait d'eux ? s'enquit la sixième de groupe, hésitante.

— GAV pour Marsac. Pour Amélie, je ne sais pas. On sait qu'elle a un alibi pour le meurtre de sa copine Laura. On va sûrement refiler ces deux-là aux Stups...

— OK. Il faudra rendre compte à Jordan...

— Ça, je peux m'en occuper, intervint Robin. Je vous accompagne au bureau, j'appellerai Jo une fois là-bas.


Dans les locaux de la police judiciaire, le capitaine Nicolas Mercier se prépara un sixième – ou septième – café. En dépit de l'heure tardive, il continuait à travailler d'arrache-pied. Les bureaux étaient quasi déserts, il ne restait plus que la permanence sur le bateau. Le Nordiste ne savait pas ce qui lui avait pris, ce soir ; pour une fois, sa vie professionnelle avait eu raison de sa vie privée. Bien que réticente, Sophia l'avait finalement laissé regagner le QG du groupe.
Il était seul, et cela lui faisait un bien fou. Il comprenait la perpétuelle envie de Jordan, celle de vouloir passer ses nuits au bureau. Pas un bruit, pas de collègue qui dérange pour telle ou telle raison. Une atmosphère sereine, posée.

Nicolas posa sa tasse à présent remplie de café sur son bureau. Il jeta un œil au bureau de sa chef : tout était parfaitement bien aménagé et rangé, les dossiers amoncelés formaient des piles radicalement droites et aucune feuille volante ne traînait sur la surface du mobilier. Mercier reprit sa tasse et s'installa derrière le bureau de la docteure en criminologie. Il avala une gorgée de café puis se saisit du premier des douze dossiers du FBI ramenés par Robin Fontana. Il l'ouvrit, examina attentivement les éléments, essaya de les comprendre.
« Helena Young, vingt-six ans, retrouvée morte au petit matin du 5 mai 2010 au Boston Common », lut-il.
Il tourna les feuilles et découvrit les photos qui accompagnaient la chemise marron. Il ne fallut pas plus de deux secondes au capitaine pour déduire que la scène avait dû être horrible. Le degré des sévices subis par cette victime semblait incontestablement supérieur à celui des tortures infligées à Laura, Pauline, Manon, Alicia et Agnès.

De longues minutes durant, Mercier ouvrit puis ferma successivement les autres dossiers. Il ne put que constater la sauvagerie que partageaient ces douze crimes commis sur le territoire américain. Jusque-là, il n'avait jamais jeté de coup d'œil à ces chemises que Jordan gardait en otage. Il s'était essentiellement appuyé sur les homicides perpétrés à Paris—ce que souhaitait la juge d'instruction.

Il suspendit finalement sa lecture et s'affaissa dans le fauteuil de sa chef de groupe. Il ferma les yeux trente secondes avant de les rouvrir. La fatigue le gagna peu à peu malgré la caféine qu'il ingurgitait. Il vida sa tasse, se leva et rejoignit son bureau, juste à gauche de celui de Jordan. Il entreprit d'éteindre son ordinateur, de rassembler toute sa paperasse, d'éteindre sa lampe et d'enfin, quitter le bureau.

TOME 1 : LE SANG DES ROSESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant