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D'un coup je n'entends plus rien. Je vois passer comme au ralenti un corps ailé et brûlant devant le mien, comme un souffle chaud d'un vent venu d'Orient. Je vois Scott tenter de freiner vainement sa course. Je vois les auréoles de sang sur son flan et sur sa clavicule. Je vois mon père tenter de comprendre ce qu'il se passe, je vois la tête Scott vaciller un instant, tenter de se relever avant qu'elle ne retombe lourdement sur son torse et qu'il passe par la fenêtre. Sans plus faire attention au meurtrier qui me tient lieu de père, je me précipite vers la fenêtre qui présente désormais deux trous béants. Notre arrivée et son départ. Je vois le corps de Scott tomber en brisant toutes les vitres sur son passage. Les gens lèvent la tête. Je ne peux pas voir leurs visages de là où je suis mais je devine leur désarroi. Un premier son parvient à franchir la barrière de mon incompréhension. Un hurlement, terrible. La peur, la tristesse incommensurable d'un chagrin d'amour, le cri de la belle qui voit son amant partir au combat, le cri de la femme qui voit mourir son mari dans ses bras, le cri du loup qui voit s'éteindre son âme-sœur. Mon cri. La chute de Scott s'arrête soudain, une aile prise dans les fenêtres. J'espère de cet espoir plus dévastateur que bienfaiteur, qu'il relève fièrement la tête, libère son aile et s'envole. Mais son corps reste inerte, immobile, sa vie gouttant par petites perles rouges, comme les larmes d'une vie qui s'échappe. La douleur que l'on ressent à ce moment n'est pas descriptible, c'est comme si le destin s'amusait à planter et replanter sans fin une lame dans mon cœur, dans mon corps. L'écho de mon désespoir se répercute encore sur les immeubles alentours que j'entends mon père libérer à nouveau la gâchette de cette arme qui vient de tuer celui qui détenait ma vie. Je suis trop choquée pour me libérer, trop choquée pour m'en sortir sans jouer mes dernières cartes. Sans jouer ma dernière carte.

- Vous venez d'abattre un de nos membres. Il suffit que je presse ce bouton et les effets sur votre famille pourraient être irréparables. Laissez-moi partir et j'essaierais d'oublier.

- Tu essaies de répandre ton venin par tes mots. Jamais je ne te croirais.

Je frappe ma poitrine, à l'endroit du bouton qui est censé donner l'ordre de tuer quelqu'un de la famille Doris mais qui en fait désactive le modificateur de ma voix. Ce que mon père ne sait pas c'est que les conséquences sont exactement les mêmes. Si ce bouton demandait la mort de quelqu'un, il l'aurait perdu à jamais. Ce bouton révèle mon identité et il me perd à jamais. Lorsque ma voix s'élève à nouveau, elle est normale. Celle que mon père entend tout les jours.

- C'est donc ça que vous voulez ? La mort de votre famille. Votre entourage ne compte donc en rien pour vous ? Ce n'est qu'une image ?

Mon père cligne des yeux surpris. Je vois, à travers mes larmes, ses lèvres formuler mon prénom, mais pas sa voix. Il m'a reconnue mais n'y croit pas.

- Si, père. Vous venez d'abattre de sang froid Scott. Scott qui s'est interposé en voulant me sauver parce que vous étiez prêt à me tirer une balle dans la tête.

D'un geste las je fais tomber ma capuche sur mes épaules, révélant mon visage. Mon père lâche un "Hellen"comme s'il allait mourir. Je viens de lui montrer que plus jamais je ne le considérerais comme avant, en le vouvoyant. Je viens de jouer ma dernière carte. Je fais ce qui va sceller notre relation père-fille à jamais. Je le repousse alors qu'il tente de me prendre dans ses bras, protège mon visage comme si je craignais qu'il me frappe puis commence à courir. Je passe à travers la vitre brisée par notre arrivée. Pieds et mains collées aux vitres intactes, je glisse jusqu'au niveau de Scott. Je réussis à libérer son aile et le retiens de justesse alors qu'il glissait inexorablement vers le sol. J'ai comme l'impression que le destin n'a pas envie de nous voir mourir aujourd'hui et qu'il libère un peu Scott de la gravité. A moins qu'il n'ait perdu trop de sang... Je nous laisse tomber sur les derniers mètres, je n'aurais pas pu risquer la désescalade avec son corps dans les bras. Je parviens à échapper à la foule de justesse, sans qu'elle reconnaisse nos visages. Je tente de courir mais Scott est trop lourd pour moi et ses ailes, même repliées, me ralentissent. Soudain quatre silhouettes se matérialisent devant moi, la démarche féline de ceux qui ont soif de sang.

Homme-LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant