Lorsque l'on entre dans la salle de cours, le mot THÉÂTRE s'étale en lettres capitales sur le tableau interactif. Certains soupirent et d'autres sourient. Je ne montre rien. La prof de français arrive et sourit.
- Bonjour à tous. Pour ces quatre heures que nous avons ensemble, j'ai décidé de vous faire travailler sur le théâtre. Je vous donne le sujet et vous avez une heure pour écrire une scène en duo. J'ai fait les duo pour éviter de perdre du temps. Marc et Jorane. Gwenael et Maria. Mathilde et Harley. Scott et Hellen...
Elle cite tout les prénoms de la classe. Parfois ce sont des soupirs et d'autres fois des cris de joie. Hellen se contente d'un sourire.
- Bien. Vous êtes un couple, mais l'un des deux veut partir. Vous devrez tenter de convaincre l'autre. Et pour ce faire, vous devrez vous inspirer d'une œuvre, peu importe, qu'elle soit littéraire, cinématographique ou musicale des siècles derniers. A aucun moment vous ne citerez l'endroit où vous voulez aller. Vous avez une heure pour écrire un script respectant les codes théâtraux.
*
Au bout d'une heure, plus personne n'eut le droit d'écrire. Elle appela les couples les uns après les autres. A la fin la prof demandait les raisons et si on avait pensé à un là-bas. Les raisons étaient diverses. Envie de changement, dépaysement, un sentiment de ne pas être chez soi. Les "là-bas" étaient quasiment tous la ville. Et les moyens de retenir l'autre aussi. La fille était enceinte, demande en mariage... Puis ce fut à nous. Les élèves s'agitaient. Nous étions les derniers.
- Je pars. Dis-je.
- Pourquoi ? Répond Hellen, si maîtresse de chacun de ses gestes et intonations que je n'avais plus l'impression de jouer.
- Ici je me sens trop à l'étroit. Je ne veux pas rester. Là-bas, je pourrais faire ce que je veux, vivre comme je voudrais sans avoir à regarder derrière moi pour vérifier que personne n'est blessé par mes actes. Je pourrais vivre en avançant au lieu d'être tiré en avant et de chercher à rester dans le passé. Oui, je ne sais pas ce qui va se passer. Oui, il y aura des jours où je vais douter. D'autres où je vais souffrir. Mais je sais que je peux y arriver, je souffre déjà ici. Je peux vivre, devenir important et donner enfin un sens à ma vie. Je suis assez jeune pour ça. Assez ambitieux. Assez courageux.
- N'y vas pas. Là-bas, tout est mirage et tentation. On te fait croire que c'est beau et possible. On te fait croire que vivre là-bas c'est être heureux. Mais là-bas, les bateaux comme les gens font naufrage. Ils coulent sans rien avoir pour se retenir. Je saurais te retenir si je suis là. Je ne souhaite que ton bonheur. Mais je te sais parfois faible et tu baisses ta garde. Les gens n'ont pas de pitié là-bas. Je veux construire une vie, tracer notre propre chemin, mais tu ne rêves que de partir. J'essaie de t'aider, de te retenir et de comprendre mais tu te fermes et tu cherches un moyen de t'envoler. A force de voler trop près du soleil, tu finiras par t'y brûler les ailes. Je sais que c'est dur à comprendre...
- Et si tout est joué d'avance ? Et si rien ni personne ne peut en changer le cours ?
- Loin de moi, loin de ta vie. Lorsque tu te retourneras et que tu ne verras plus notre ville, alors peut-être que tu seras enfin heureux. Mais je n'y crois pas, cette flamme que je vois s'éteindre quand tu penses à là-bas. Tu partiras et dès lors, on oubliera ta voix, ton visage, ces choix que tu as fait pour nous. Et tu n'auras rien fait pour nous en empêcher. J'ai beau te serrer contre moi, tu t'échappes à chaque fois. J'ai beau resserrer mon étreinte, à chaque fois tu te débats.
- Peut-être qu'enfin j'aurais une chance. Qu'enfin j'aurais des droits, tout ce qu'ici je n'ai pas. Tout ce que les gens méritent, ils vont le chercher. Je pars chercher ce que je mérite.
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Homme-Loup
Fantasy"Aujourd'hui, la science est arrivée à un tel point que l'Homme est en capacité de modifier jusqu'au génome humain pour pouvoir soigner les maladies face auxquelles nos ancêtres ne pouvaient qu'abdiquer." Dr Bersheker, conférenc...