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Peut-on mourir de bonheur ?

Si ce regard qu'ont échangé Hellen et Scott pouvait parler il pourrait répondre oui. Les retrouvailles sont muettes. Les deux âmes-sœurs n'ont pas besoin de fausser le sens de leurs émotions avec des mots pour se comprendre. Un regard, un geste. Un sourire ou une larme parlent pour eux. Une unique larme s'échappe de leurs yeux. Une unique larme qui contient pourtant toute la douleur du monde. Les larmes sont les paroles de notre âme. Les yeux sont ses fenêtres et la bouche, son souffle. Leurs deux âmes sont mêlées. Un rayon de soleil facétieux avec une étoile pétillante. Voilà comment on peut décrire ce jeune couple qui se retrouve comme si cela faisait des années qu'ils ne se s'étaient pas vus. Rien n'a assez de force pour briser l'amour qui les unit. Rien, pas même la mort. Ils sont ce que, moi le scientifique, je viens à peine de découvrir. Heureux. Heureux de s'être retrouvés, le bonheur jamais altéré malgré le nombres de fois qu'ils se sont perdus pour mieux se retrouver. J'ai cru, avec la naissance de Scott et son enfance, toucher du doigt le bonheur. En réalité, c'était beaucoup plus simple que cela. Il m'a suffit de les regarder. Il émane d'eux une telle lumière, un tel amour que tout ce qui les entoure en est influencé.

*

Cela fait une bonne heure que je n'ai pas bougé quand soudain, je sens que Scott est à nouveau avec nous. Comment décrire que je le savais sans mentir ? Je ne sais pas... Comment expliquer qu'un papillon déclenche une tempête à l'autre bout de la terre ? Ça ne s'explique pas. Ça se sens, ça se voit, c'est tout. Un léger froissement dans l'air, à peine perceptible. Brusquement, la main que je tiens comme un trésor entre les miennes depuis plus d'une heure se serre et sa chaleur augmente d'un coup. Je reporte mon regard sur ce visage qui hante mes rêves, qui hante ma vie depuis que je ne le voyais plus bouger au grès d'émotions incroyables. D'une main légère, je trace les contours carrés de sa mâchoire. Je suis du doigt les muscles de ses joues qui tressaillent sous mon contact. Je redessine doucement le contour de ses lèvres. Je repose ma main sur la sienne et d'un coup, comme une rose qui s'ouvre révèle la beauté de son cœur, Scott ouvre les yeux. Ses yeux dorés qui se fixent à mon regard comme à un port d'attache. Je vois le doute passer comme un nuage dans ses yeux. Le doute, comme s'il doutait d'être à nouveau parmi les vivants. J'effleure doucement sa mâchoire et je sens les muscles de son visage se tendre pour esquisser l'ombre d'un sourire. Je vacille sous ce contact incroyable, incapable du moindre geste, alors que lentement, il se redresse. Son visage à quelques centimètres du mien. Ses yeux redeviennent, tout doucement, comme un lac gelé qui se réchauffe et redevient liquide, bleus électriques et se plantent à nouveau dans les miens. Je frémis encore une fois devant leur beauté impalpable, devant leur force muette.

Fenêtre des âmes,

Livre du cœur,

Regard.

Pendant quelques instants, je suis incapable de prononcer le moindre mot. Je lis en lui comme il lit en moi, je ressens comme si c'était la mienne sa douleur lorsque les deux balles ont perforé sa peau, je ressens son souffle se couper comme si c'était le mien. Je me sens partir, perdre connaissance alors qu'il n'en est rien. Je ressens ce noir dans lequel résonne parfois nos voix. Je vois ses souvenirs qui lui sont revenus dans le noir, cette question qu'il s'est posé. Si ce n'est que ça la mort, pourquoi les Hommes ont tellement peur d'elle ? Il avait pensé mourir dans ce noir mat et oppressant. Je ressens avec cette puissance incroyable, cet effort qu'il a fait pour sortir de ce coma dans lequel son corps l'a plongé. Je ressens la difficulté qu'il a à s'extirper des tentacules de noirceur qui le retiennent prisonnier avec autant d'efficacité que si c'était des chaînes. Puis je vois que mon geste, aussi anodin fut-il de toucher son visage l'aider à reprendre pied avec la réalité.
Et puis d'un coup, comme lorsqu'on ferme un livre, tout doucement, les yeux luisants de larmes, ému au-delà des mots, Scott détourne le regard et se laisse tomber dans mes bras. Je les referme autour de son torse nu alors que ses ailes se déploient comme une aura protectrice autour de lui. Il prononce les trois seuls mots capables de renverser la Terre entière comme on renverserait un verre d'eau.

Homme-LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant