Homme-Loup

35.

Ce soir-là, je ne mangeais rien et ne dormais pas.
Je passe ma nuit, couchée sur le dos, à repenser à cette rencontre incroyable. A cette douleur sans limites. A cette vie que j'ai détruite à cause de mots que m'a dicté ma peur de le perdre. Mais c'est en faisant cela que je l'ai perdu totalement... Suivant les directives que m'avait donné l'homme qui a repris le pouvoir sur l'Organisation de la ville, je retourne au lycée et mime chaque jour qui passe, le rire et la joie. Depuis que j'ai revu Scott c'est comme si quelque chose d'incroyable avait construit un mur anti-émotions tout autour de mon cœur. Je ne ressens plus rien. Plus de douleur, plus de peur, plus de rire, plus d'envie. Plus d'envie sauf celle de retourner dans le passé et mettre ma vie en pause.

L'Organisation voulant que personne ne se doute de rien, j'avais dû accompagner Marlen à l'aéroport. Et quand j'ai vu Scott sourire, je me suis dit qu'il avait réussi à passer outre mes mots, à les ignorer, mais il ne lui a suffit que d'un geste pour casser cette illusion. Il a tremblé lorsqu'il a déposé sa malle, attestant d'un voyage long, sur les tapis.
Et puis son avion s'est crashé et il est mort.

En voulant me fuir.

Chaque soir pour tenter d'éloigner les cauchemars qui me harcèlent, je serre contre mon cœur la lettre de Scott. Un peu comme un enfant avec sa peluche. Je connais les moindres mots par cœur et je pourrais la réécrire les yeux fermés. Le mur que ma dernière rencontre avec le jeune loup avait érigé autour de mon cœur, pour que personne ne puisse voir la blessure béante qui me tenait lieu de cœur, s'est effondré lorsque j'ai entendu l'annonce alors que j'étais partie dormir une nuit chez moi. Pour récupérer quelques vêtements et surtout aller voir ma mère et mon frère. Et je suis incapable de le reconstruire. Mes sentiments sont maintenant exposés à tous et cela me rend plus vulnérable que jamais. Le soir, je m'endors les yeux pleins de larmes et le matin, je me réveille les yeux rouges et gonflés à force d'avoir trop pleuré. Les membres de l'Organisation se sont rendus compte que quelque chose n'allait pas mais pas un seul ne s'est risqué à me le demander... Tant mieux.

Pourtant ce matin, lorsque je me lève, mes yeux sont juste noisette, ni rouges, ni gonflés. Pour la première fois depuis des jours et des jours, j'ai réussi à dormir sans pleurer. Et ce brusque changement est dû à une seule chose. On m'a forcée à prendre des somnifères, parce que plusieurs fois, le lycée a appelé à la maison parce que je n'écoute pas où bien parce que des mots provoquent des crises de panique chez moi. Ma mère a répondu de la ligne de téléphone secrète de la maison des secrets, qui est en fait un appartement géant dans les fondements de notre maison. L'Organisation a été informée je ne sais comment de ce coup de fil.
Je me lève et me dirige, comme si j'étais un somnambule, vers la douche. J'allume le miroir connecté, choisis une chaîne de radio et commence à me déshabiller. Une musique rythmée emplit la salle alors que je commence à faire couler l'eau. Les musiques défilent et je sors de la douche. Dans la pièce embuée, je commence à m'habiller tout doucement quand, alors que je passais mon sweat-shirt par dessus ma tête, une petite sonnerie retentit. Je me fige et ouvre grand les oreilles. Le présentateur nous ré-explique les circonstances du drame aérien qui a emporté Scott loin de moi.

"Les recherches pour l'avion qui partait pour Tokyo, il y a trois semaines, sont abandonnées car il n'y a aucuns survivants. On a pu retrouver une grande partie de l'avion et les boîtes noires pour connaître les causes de ce crash mortel. Une marche commémorative a été organisée dans de nombreuses villes. Les familles des victimes sont invitées à une conférence de presse avec le directeur des transports aériens à seize heures ce soir."

Mon cœur, qui s'est vainement raccroché à l'espoir de retrouver un Scott transformé en Robinson Crusoé, semble perdre un instant sa faculté à me faire vivre et se stoppe. L'espoir est la dernière chose que l'on perd. Puis il repart avec un nouvel espoir. Je viens de décider de faire le voyage et de chercher par moi-même, même si les chances de trouver des résultats sont quasi nulles, Scott ou d'autres survivants. Quelques chose me dit que tuer un loup ailé est mille fois plus difficile qu'un simple crash aérien. Je lui dois au moins ça, tenter de le retrouver. Je nous dois ça. Et ce nouvel espoir qui m'anime semble être le moyen de retrouver la force de me battre. Le flot d'émotions et de sentiments contradictoires qui emportait toute ma raison se tarit soudainement. Je visualise, et ce étrangement, un mur de pierres noires se construire autour d'un objet brillant émettant une lumière rassurante et chaleureuse. Se construire autour de mon cœur. Je m'offre totalement à la guerrière, à la combattante, à l'élève prodige de l'Organisation, celle qui n'a ni pitié ni sentiments, qui se bat aussi bien sans armes qu'avec. Ce côté noir de ma personnalité, celui que tout le monde cherche à refouler. Je vais partir. Je vais chercher Scott. Mais pour partir je dois libérer Marine et mon père et faire passer l'envie de se venger à tout ceux qui pourraient être capables de leur faire du mal. Je vais devenir la Némésis qui va hanter tout les membres de l'Organisation qui auront la malchance d'être vivants après mon passage. Si Scott avait été vivant, il m'aurait sûrement dit que mon aura était noire.