Chapitre 11

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—Ils ne méritent pas une telle punition, proteste Stevens, pas pour avoir seulement ouvert les yeux et gardé leur libre-arbitre.

Les mots du Colonel résonnent dans mes oreilles : il est au courant. J'ai l'impression qu'il s'écoule une éternité avant que les traits du Général ne se déforment en un rictus qui me fait froid dans le dos.

—Détachez-les, ordonne-t-il calmement.

J'ai du mal à croire ce que je viens d'entendre. Il veut qu'on nous détache ?

—J'ai dit détachez-les ! répète-t-il, comme en réponse à ma question silencieuse. Le Colonel Stevens se fera un plaisir de prendre leur place, ajoute-t-il avec un regard en direction de notre ancien instructeur.

Je retiens un hoquet de surprise alors que les mains du militaire me lâchent pour détacher mes menottes. Je tombe au sol en me massant les poignets. Je voudrai me précipiter aux côtés de Will qui tremble de tous ses membres, mais le militaire m'en empêche en me saisissant par le bras pour me remettre debout d'un geste vif.

—Emmenez-les à bord et enfermez-les, reprend le Général. Nous nous occuperons d'eux plus tard.

Je n'ai pas la force de résister au militaire qui m'entraîne à l'écart de la foule. Les adolescents s'écartent craintivement sur notre passage et je peux apercevoir le sourire qui étire les lèvres de Jen. Je crie et me tords le cou pour tenter d'apercevoir le Colonel Stevens. Ce dernier m'adresse un hochement de tête encourageant et ses lèvres forment une phrase silencieuse : « Ne cède pas ». Je le vois qui retire docilement son tee-shirt avant qu'on ne le menotte à la place même que j'occupais quelque secondes plus tôt. Puis le militaire qui me retient m'oblige à regarder droit devant moi d'un geste brusque. Une fois que nous sommes suffisamment éloignés, il sort un objet de sa poche et avant que j'aie pu l'identifier, Will, les deux militaires et moi nous retrouvons sur le pont d'un bateau. 

Je devine que nous nous sommes téléportés grâce à l'un des gadgets créés par Alex – à l'origine pour notre plan. J'ai la tête qui tourne et je ne prête aucune attention au chemin que nous empruntons, la seule chose qui m'importe étant le dos sanguinolent de Will qui marche devant nous. Je vais le soigner, pensé-je pour me rassurer. Cette vue me renvoie à ma propre douleur qui doit être bien moindre par rapport à la sienne. J'ai vaguement conscience de descendre un interminable escalier grinçant en ferraille qui mène aux cales du bateau. C'est comme si nous nous aventurions dans les entrailles d'un gigantesque monstre marin. Nous arrivons en bas de l'escalier et débouchons dans une sorte de couloir sombre bordé de dizaines de cellules. On me pousse dans l'une d'elle et je tombe à genoux alors que les barreaux se referment derrière moi avec un claquement métallique. Je me retourne alors qu'on enferme Will dans la cellule qui fait face à la mienne.

—Je vous interdis de prononcer le moindre mot, les gamins, ordonne l'un des deux militaires. Compris ?

Ni Will ni moi ne répondons, trop occupés à nous regarder. Les deux militaires vont s'asseoir plus loin, sans doute dans l'attente des ordres du Général. Je tends le bras à travers les barreaux de ma cellule mais c'est peine perdue : même si Will faisait de même le couloir est trop large pour que nous puissions nous toucher. Je vois Will se recroqueviller après avoir essayé de se relever et je me maudis d'avoir obligatoirement besoin d'un contact physique pour pouvoir le soigner. Je donne un coup de poing rageur dans les barreaux, créant une vibration qui remonte le long de l'alignement de cellules et m'attire un regard désapprobateur de la part des militaires. 

Je ramène mes jambes contre moi pour lutter contre le froid ambiant mais cela ne sert à rien, étant donné que le tee-shirt que je porte est en lambeaux. Je sens le froid s'engouffrer sous les restes de tissu et je frissonne. Cela doit faire à peine quelques minutes que je suis là, assise sur le sol gelé, à regarder – impuissante – le visage de Will se crisper de douleur au moindre mouvement, quand la porte en bas de l'escalier s'ouvre en grand. Le soulèvement d'air froid ainsi provoqué me tire de ma torpeur.

Anomalie [ EN RÉÉCRITURE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant