Chapitre 16

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Avec les garçons, nous avons estimé que pour effacer les tracas de la journée, il n'y avait rien de mieux que passer une soirée tous ensemble. Depuis plusieurs semaines, nos discussions sont polluées par le Président et les ennuis qu'il semble bien décidé à nous causer. Heureusement, ce soir, la conversation a vite été orientée sur les anecdotes d'enfance – et Dieu seul sait combien nous en cumulons à nous tous. Au début, j'ai pensé que James serait mal à l'aise avec ce sujet, mais il s'est vite pris au jeu. Will, en revanche, s'est éclipsé depuis un moment déjà. Je me demande ce qui lui prend si longtemps. Sans aucune raison, un étau oppressant enserre ma poitrine avec une telle force que je suis sûre qu'il ne s'agit pas de mes émotions. Je ne voudrai pas fausser compagnie aux garçons, mais l'inquiétude prend le dessus. Après leur avoir souhaité une bonne nuit, je quitte le salon pour rejoindre la chambre que je partage avec Will.

La porte de la salle de bain est grande ouverte, rectangle de lumière jaune dont la clarté se perd, à mesure qu'elle progresse dans l'obscurité de la chambre. Will se tient face au miroir, les mains agrippées au rebord du lavabo. Il s'est débarrassé de son tee-shirt, et les muscles de son dos sont tendus à l'extrême. Il n'a pas dû m'entendre entrer, car en voyant mon reflet rejoindre le sien dans la vitre abîmée, il sursaute. 

L'éclairage et la pâleur de son teint font ressortir les cernes sous ses yeux verts et or. Quelques gouttes d'eau s'attardent sur ses joues, comme s'il venait de s'asperger le visage d'eau froide. Il adresse à mon reflet un faible sourire, qui me serre le cœur. Je ne lui demande pas ce qui ne va pas, parce que je crois que je connais déjà la réponse. Dans ces moments là, il ne sert parfois à rien de parler. Doucement, je pose ma main sur son épaule. A ce contact, je sens sa peau frémir sous mes doigts. Je constate également à quel point il est brûlant.

Soudain, la lumière me révèle de minces lignes claires, parcourant son dos de haut en bas. Elles sont presque invisibles, si bien que je suis sans doute la seule à les voir. Elles sont peut-être même juste le fruit de mon imagination. Du bout des doigts, je suis le tracé de ces cicatrices, en m'efforçant de ne pas repenser à quoi elles sont dues. Nous sommes les seuls à savoir ce qu'il s'est passé sur la plage cette nuit-là. En parcourant ainsi le dos de Will, je perçois malgré moi le mélange d'émotions qui l'agitent. Il commence à trembler, comme d'impuissance. Son teint est encore plus pâle que lorsque je suis entrée. Je sens son cœur s'emballer, alors que sa respiration se fait de plus en plus saccadée. L'angoisse. Etouffante, pesante.

—Ça va aller, Will, tenté-je de le rassurer. Essaie de respirer calmement...

Il ferme les yeux, s'efforçant de suivre mon conseil. Je laisse ma main poursuivre les tracés dans son dos et rassemble un maximum d'énergie positive et de tranquillité. En calant ma respiration sur la sienne pour l'aider à retrouver son calme, je diffuse cette énergie dans son organisme, me frayant un chemin jusqu'à son cœur. Ce chemin, à présent, je le connais sur le bout des doigts. Peu à peu, nos respirations calées l'une sur l'autre s'apaisent. Le cœur de Will retrouve un rythme à peu près normal et ses joues reprennent des couleurs. Il s'éloigne de son reflet, encore tremblant, et se laisse glisser contre le mur de la salle de bain. Je m'assois à côté de lui, et nous restons un long moment silencieux, épaule contre épaule, laissant cette énergie qui a toujours circulé entre nous nous envahir.

—J'ai peur, finit par lâcher Will. Il me terrifie, il...

La gorge nouée, il ne termine pas sa phrase. Je n'en ai pas besoin pour comprendre de qui il parle. Les gens comme le Président Johnson sont terrifiants, parce qu'on sait que rien, absolument rien au monde ne les arrêtera jamais d'avoir soif de ce pouvoir, qui nous fait peur, lui aussi.

Anomalie [ EN RÉÉCRITURE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant