Partie 1-Chapitre 1

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J'ai seize ans.

Allongée sur mon lit, les yeux fixés sur le plafond, je tente en vain de me vider l'esprit. Cette pensée m'obsède depuis des mois. Depuis que j'ai dû souffler mes bougies, sous le regard anxieux de mes parents. Il y a encore quelques jours, la routine scolaire me changeait les idées. Il y a encore quelques minutes, j'avais de quoi lire pour m'évader. Mais maintenant que nous sommes en vacances pour deux mois, et que mon stock de lecture est épuisé, mon cerveau rejoue cette phrase en boucle.

J'ai seize ans. Et je déteste cette idée.

Pourquoi ? Parce que cela signifie que, comme tous les jeunes Néo-Américains de mon âge, je vais devoir subir les tests annuels qui permettront aux médecins de poursuivre leurs observations. Je n'ai jamais eu peur des piqûres, ou de ce genre de choses que nous font les docteurs. Sans doute parce que mes parents travaillent tous les deux à l'hôpital, lui en tant qu'infirmier, et elle en tant que pédiatre.

J'ai seize ans. Je sais, merci.

Ces tests qu'on nous fait passer, il s'agit de tests anodins, censés déterminer si, oui ou non, la Catastrophe a affecté l'organisme humain. Seulement voilà : depuis dix ans, depuis que le nouveau président a succédé à son père, des adolescents disparaissent après avoir passé l'examen de leurs seize ans.

Et j'ai seize ans.

D'après ce qu'on en dit, quand les médecins détectent des « variations » chez ces adolescents, ils sont envoyés ailleurs, pour subir des tests plus performants. Aucun d'entre eux n'est revenu. Le fils de mes voisins a été emmené, il y a trois ans, et nombreux sont ceux qui savent que je le connaissais bien. Il m'avait appris beaucoup de choses, un peu comme l'aurait fait un grand frère, et c'est peut-être pour cette raison que je me sens concernée par cette histoire de disparition. Parfois, j'ai même la désagréable impression d'être la seule.

Mes parents ne cessent de me répéter que je n'ai rien à craindre. Alex non plus n'avait rien à craindre. Pourtant, je m'abstiens toujours de formuler mes pensées à voix haute, car j'ai l'impression qu'en me répétant cela, mes parents croient me tenir hors de portée de cette issue plus qu'inquiétante.

—Aliiiiiiiice ! crie à plein poumons mon petit frère depuis le salon.

—J'arrive !

Je sors de ma chambre, et débouche presque aussitôt dans le salon, couplé à la cuisine. La maison a beau être petite, et la décoration sommaire, je m'y suis toujours sentie chez moi. Je trouve mon frère assis dans le canapé en toile élimée. L'air concentré, il fait rouler son ballon sur ses genoux, n'ayant cure des mèches rebelles qui tombent devant ses yeux. Il faudrait que je songe à lui couper les cheveux.

Louis finit par relever vers moi ses grands yeux bleus, emplis de cette joie propre aux jeunes enfants, comme si le bonheur avait décidé de s'attarder dans leurs prunelles rieuses. J'envie souvent son insouciance enfantine, soulignée par les traits encore ronds de son visage.

—Tu veux bien aller jouer avec moi ?

Il accompagne sa question d'un regard implorant, auquel je suis bien incapable de résister. De toute manière, je crois que passer du temps avec lui ne peut que me faire du bien.

—Bien sûr, accepté-je.

—Ouaiiis ! crie-t-il en sautant du canapé.

—Allez, va chercher ta casquette. Le soleil tape dehors.

Je passe une main dans ses mèches blond foncé et le regarde filer vers sa chambre. Quand Louis et moi étions petits, nos parents nous confiaient à Nathalie, notre voisine et amie, la mère d'Alex. C'est elle qui se charge de garder les enfants de notre petit hameau. Maintenant que je suis plus grande, et que nous allons tous les deux à l'école, nous nous débrouillons seuls pendant les vacances. Cela ne nous empêche pas de rendre souvent visite à Nathalie, qui s'émerveille toujours de la vitesse à laquelle Louis grandit. Je crois qu'il lui rappelle son fils, parfois.

Anomalie [ EN RÉÉCRITURE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant