Chapitre 18

161 17 40
                                    

Alice baisse-toi !

La voix d'Aaron retentit dans mon esprit, par-dessus le vacarme environnant. Sans réfléchir au sens de ses paroles, je me mets aussitôt à couvert derrière les débris les plus proches. Une énorme sphère brûlante me manque de peu. Je suis incapable de dire depuis combien de temps la bataille fait rage, mais vu l'état dans lequel se trouve la communauté, cela doit faire un moment. Presque toutes les maisons ont été détruites, obligeant les non-Privilégiés qui y étaient dissimulés à sortir à découvert. Je m'accorde une minute pour retrouver mes esprits, et chercher des yeux ceux que nous devons protéger.

Personne ne s'attendait à un tel acharnement de la part des Anomalies. Lorsqu'ils sont arrivés devant la communauté, il n'y avait personne à leur tête. Aucun signe du Président ou du Général Walker. Ils se sont lancé corps et âme dans la bataille, sans un mot, comme possédés par une force extérieure. En voyant les premières maisons s'effondrer et les groupes de renforts de non-Privilégiés en sortir, affolés, nous avons décidé d'adapter notre plan. Nous ne pouvons rien contre la fureur qui anime l'armée du Président, alors le seul moyen que nous ayons trouvé pour rester en vie est de nous protéger les uns les autres. Le but de la manœuvre est d'aider tous les non-Privilégiés à rejoindre le Grand Hall, où Inès et Will s'occupent de protéger le périmètre. Après, on avisera.

Une jeune fille brune déboule sur la place en regardant de tous les côtés. Je sens grâce à ma faculté que c'est une non-Privilégiée. Evidemment, elle n'avait aucune idée de ce qui l'attendait au cours de la bataille. La dernière guerre intercommunautaire remonte à quinze ans, à la mort d'Edouard. Elle devait à peine venir de naître. Alors bien sûr, elle avait été préservée de la violence jusqu'à aujourd'hui. Ce serait sans doute aussi mon cas si... Ce n'est pas le moment de penser à ce qui aurait pu arriver. Cela ne changerait rien à la donne.

La jeune fille est désorientée, paniquée. Et surtout, elle n'est pas au courant qu'elle doit rejoindre le Grand Hall. Le bâtiment n'est pourtant qu'à quelques mètres d'elle. Inès l'aperçoit et se met aussitôt à l'appeler. Enfin, je suppose que c'est ce qu'elle fait. Les battements de mon cœur dans mes oreilles m'empêchent d'entendre ce qu'elle dit. La jeune fille n'entend pas les appels désespérés d'Inès, à laquelle Will semble s'être joint. Elle n'entend pas que son prénom déchire le vacarme, parce qu'elle est obnubilée par le danger qui s'approche d'elle à la manière d'un prédateur. Mon sang commence à bouillir dans mes veines quand je reconnais celui qui s'approche de notre protégée.

La jeune fille étouffe un cri avant, comme si la peur venait de réveiller son corps, de se mettre à courir en direction du Grand Hall. Mais elle ne sait rien de la faculté de Mark. Arrachée à son élan par un bras invisible, elle s'arrête net, deux mains instinctivement portées à sa gorge. Je ne peux qu'imaginer le sourire sadique qui étire les lèvres de Mark. La jeune fille se bat contre la force invisible, luttant pour respirer. Je ne te laisserai pas faire ça ! Animée par le dégoût que m'inspire l'acte de Mark, je rassemble toute ma concentration.

Je l'ai déjà fait. J'ai déjà plongé Mark dans l'inconscience le jour de la mort de Myra. Il a tué Myra ! Cette pensée accompagne mon acte jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il ne reste dans le corps de mon adversaire que le strict minimum d'énergie essentiel à sa survie. Je ne peux tout simplement pas me résoudre à le tuer. Le mettre hors d'état de nuire suffit amplement. Avant d'avoir pu comprendre ce qui lui arrivait, Mark s'effondre, inconscient. Cette fois-ci, pourtant, et malgré la répulsion que cela m'inspire, je garde son énergie en réserve. Au cas où. Ma voix intérieure me souffle que je ne devrai pas faire ça, mais même si ça ne me plaît pas, je sais que cette énergie pourrait me sauver la vie. Je déteste cette idée, je déteste cette idée. Je sens déjà que je n'aurai pas dû absorber cette énergie. J'ai l'impression qu'un fluide empoisonné circule dans mes veines.

Anomalie [ EN RÉÉCRITURE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant