Anomalie [ EN RÉÉCRITURE ]

Chapitre 14

Les interrogations se bousculent dans ma tête à une vitesse vertigineuse. Je suis incapable de formuler une pensée cohérente. Will est aussi secoué que moi. Que peut bien signifier la présence de notre ami ici ? Une réponse se forme dans mon esprit et il m'est impossible de la chasser : Liam nous a trahis. Moi qui suis si habituée à déchiffrer les émotions des gens, je ne parviens pas à mettre de nom sur ce que je ressens à cet instant précis. J'ai l'impression que tout le sang a quitté mon visage alors que cette phrase tourne en boucle dans ma tête : il nous a trahis. Je ne suis pas en colère. Je ne suis pas triste, non plus. Je suis simplement... abasourdie. Je tente de me ressaisir. Liam ne nous aurait jamais trahis, c'est impossible. Des paroles de mon ami me reviennent pourtant à l'esprit : « Vous avez tous un don exceptionnel, vous êtes des Anomalies et vous êtes tellement courageux alors que moi... moi je suis juste un mec normal incapable de vaincre son vertige ! ». Liam... il a toujours associé à tort notre qualité d'Anomalies à une chance, et maintenant il s'apprête à servir de cobaye pour je ne sais qu'elle sorte d'expérience.

—Liam, je parviens à lâcher, que... qu'est-ce que tu fais ici ?

Mon ami lève les yeux vers moi, mais c'est le Président qui répond à sa place. Je vois à son expression qu'il est content de l'effet que sa surprise empoisonnée a eu sur nous.

—Monsieur Meyer a compris que votre guerre était perdue d'avance, et contrairement à ses amis, il n'est pas orgueilleux au point de refuser d'admettre sa défaite.

Ses paroles sont emplies de venin et je me rappelle l'avoir entendu proposer à Liam de se joindre à lui. Il avait déjà cerné la personnalité fragile de mon ami et il s'en est servi.

—Liam ! tenté-je à nouveau, espérant une réponse de la bouche de mon ami. Je ne sais pas ce qu'il t'a dit mais tu ne dois pas l'écouter. Ce sont des mensonges ! Des saletés de mensonges ! Tu n'as pas besoin de changer, tu es toi-même et c'est comme ça que je t'aime. C'est comme ça que Will, qu'Alex, que Vladimir et James t'aiment ! Parce que tu es Liam, tout simplement, et que tu n'as pas besoin d'être une Anomalie !

En prononçant ces mots, je me suis approchée de mon ami et l'ai pris par les bras comme pour le secouer, comme pour le réveiller d'un mauvais rêve. Liam se dégage, doucement mais fermement, avant, enfin, de me faire entendre le son de sa voix.

—J'ai fait mon choix seul. C'est décidé, je veux devenir une Anomalie. C'est le seul moyen pour moi d'aider, et tu ne me feras pas changer d'avis.

Ces mots me brisent le cœur. Même si une partie de moi comprend ce qui le pousse à agir ainsi, l'autre aimerait le gifler pour lui remettre les idées en place. Mais ce méli-mélo d'émotions indémêlables empire lorsque je croise le regard noisette de mon ami. Ces yeux semblent vouloir me dire quelque chose, une chose qu'il n'a délibérément pas dite. C'est comme s'il m'intimait d'avoir confiance en lui, comme s'il savait parfaitement ce qu'il faisait. Mais ce regard ne me rassure pas du tout, au contraire. Surtout lorsque j'y déchiffre une pointe de chagrin, dissimulée derrière la détermination apparente. Je ne sais pas quoi dire, je ne peux rien faire. Alors je recule pour rejoindre Will. 

J'ai envie de pleurer, et je ne sais pas pourquoi. J'essaie de me persuader que c'est la fatigue, mais en réalité ce sont des larmes de colère et de frustration que je retiens. Will passe un bras autour de mes épaules, mais je refuse de me laisser aller à l'impuissance, pas devant le Président. Je soutiens le regard satisfait de ce dernier, en mettant toute ma haine dans mes yeux. La voix du médecin vient interrompre ce duel silencieux.

—Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, peut-être pourrions nous commencer ?

—Evidemment, c'est pour cela que nous sommes ici, n'est-ce pas ? lance le Président.