O1. Le début.

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- Ton mari t'attend, m'annonça ma mère avec un grand sourire.

Elle était tellement heureuse. Depuis le début de cette journée elle n'avait pas cessé de me le montrer. Entre sourires, rires, larmes de joie, ... J'avais été témoin de tous ses états d'âmes et je ne pouvais pas ne pas me dire que si seulement je l'avais voulu, alors j'aurais partagé sa joie. Mais hélas.

"Ton mari", avait-elle dit. Mon mari... C'est tellement irréaliste pour moi... Tellement bizarre...
Et pourtant j'avais largement eu le temps de m'y faire. Depuis ma naissance, on n'a jamais cessé de me répéter que j'étais déjà la femme de quelqu'un. Toute ma vie j'avais été préparée à ça. Mais pourtant, je sentais que malgré tous les conseils qu'ils m'avaient donné, que malgré le fait qu'on m'ait appris à vivre avec cet aspect archaïque de "Takk sagar", j'étais loin d'être prête à commencer cette aventure. Je me retrouvais là, à assister à mon mariage, sans savoir comment réagir. Étais-je heureuse ? Étais-je triste ? Avais-je le droit de m'exprimer ? Le droit de refuser ? Le droit de vouloir choisir moi même l'homme qui devait partager ma vie ? Avais-je tout simplement le droit ? Non, rien de tel.

[....] J'avais malgré des réticences débiles, eu le droit d'aller à l'école pour m'instruire. Même si mes études se limitaient à la terminale, que je me voyais aller plus loin que ça, et que je n'arrivais pas à comprendre pourquoi on me refusait l'université, j'étais tout de même fière de moi. Fière d'avoir su me battre pour mon instruction, fière d'avoir su les faire attendre jusqu'à ce que j'aie mon bac et encore plus fière d'avoir réussi à décrocher ce diplôme qui même s'il ne m'ouvrait pas les portes du paradis, au moins me différenciait des autres filles de mon ethnie qui n'étaient pas instruites.

Faut admettre que j'avais surtout eu la chance d'avoir ma tante Adima, sœur de ma mère, qui elle, vivant en région, avais maintenant une autre vision sur la vie que nous menions. "La réussite est clé du bonheur." Les filles dakaroises étaient instruites, indépendantes et pouvaient ne pas être obligées à vivre sur le dos et aux dépends de leurs maris.

C'est vrai que j'avais fait les bancs, j'avais pour mieux décroché une bourse d'études en France, mais il était hors de questions pour ma famille de me laisser partir dans ce pays de blanc. Tout allait à l'encontre de nos traditions et religion. Donc à ce stade, j'étais dubitative. À quoi m'auront servi ces années d'études si je me retrouvais malgré tout, mariée à un inconnu qui certainement n'avait ni fait l'école ni réellement réussi sa vie ? J'allais vivre moi aussi comme une femme soumise, une femme sans réelles ambitions, une femme qui ne compte qu'à titre de bonne épouse.

Quel calvaire.

J'avais chaud, j'étais fatiguée et de nature réservée et silencieuse, tout le bruit que faisaient mes tantes et cousines, m'énervait. Leurs chants, les éloges à mon égard, tout était exagéré à mon goût. De plus, elles ne cessaient de parler de ma sagesse, de ma douceur, de la bonne éducation que ma mère m'avait inculquée alors que la plupart d'entre elles étaient là à dire quelques années plus tôt qu'une bonne fille écoute ses parents. Que je n'avais pas le droit de réclamer une éducation autre que celle traditionnelle, que je manquais de bonne éducation, juste parce que j'avais osé exprimer ma volonté à aller à l'école française. Donc, c'était pour moi de l'hypocrisie en toute sa splendeur.

Le bruit autour de moi diminue au fur et à mesure pour laisser place au calme jusqu'au silence... complet.

Me voilà assise au milieu de ce grand lit, tellement confortable que j'avais presque l'envie de m'y laisser tomber pour récupérer mes nuits de sommeil. Tout avait été tellement rapide... Dès l'annonce de ma réussite au bac, ma tante Adima m'avait demandé de me préparer car je devais donc aller passer mes vacances chez mes parents. J'étais plutôt heureuse au début, j'allais pouvoir passer du temps avec ma mère et mes soeurs. Contrairement à ce que j'avais pensé, je voyais rarement ma mère, elle était toujours occupée. Mes petites soeurs, étaient toujours avec elle. Je me disais que leur rythme effréné allait peut-être se calmer au fil des jours mais autant pour moi. Plus les jours passaient et plus leurs vas et viens se faisaient intenses. Au début je n'avais rien compris, j'avais même eu l'audace de penser que peut-être, ils s'activaient pour fêter mon bac. Ironique, n'est-ce-pas ? Mais que voulez-vous ? Mon esprit de "toubab" me faisait croire que ça ne pouvait être que ça, tellement ils avaient l'air contents pour moi. Ma mère me traitait comme une princesse, j'avais même eu l'interdiction aux tâches ménagères ! Mais alors que je me leurrais à croire que ma réussite à mon baccalauréat était la raison cachée derrière tout ce tran-tran, la vérité me frappa.
Tout avait pris un sens lorsqu'on m'avait amenée chez un cousin couturier pour prendre mes mesures pour mes robes de cérémonie. "Quelle cérémonie, néné ?" Et c'est en tremblant que j'ai eu la confirmation : "Ton mariage avec Mohamed". C'était donc ça. Mon mariage devait en fin devenir officiel.

Contraints : Khadija & Nabil.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant