Comme convenu, Mohamed était parti à Dakar le lendemain vers les coups de seize heures. La vie reprenait son cours et j'avais appris à me familiariser avec la belle famille. Mes belles sœurs Djénaba et Mariama étaient les deux plus âgées que moi. On s'entendait bien, même si on n'avait pas le même centre d'intérêts. Mariama avait vingt ans mais était déjà mariée depuis l'année dernière. Je lui avais demandé pourquoi elle n'était pas chez son mari, elle m'avait vaguement répondu qu'elle avait eu une petite dispute avec ce dernier et qu'elle avait préféré rentrer chez elle le temps que les tensions s'apaisent. Djénaba, elle était ici juste parce qu'elle devait accoucher sous peu et préférait rester avec sa mère.
Ma belle-mère était très souriante et sympathique. Je l'appréciais beaucoup. On se retrouvait chaque après midi à converser sur tout. Elle me parlait souvent de mon mari, pour que j'en sache bien plus que je ne devrais, disait-elle. Les anecdotes qu'elle me racontait me faisaient le plus souvent rire aux larmes. Mohamed n'avait pas toujours été l'homme très calme et posé qu'il était maintenant. J'en étais surprise.
Mon beau-père, kao Amadou, ou baba Amadou, semblait avoir une dent contre moi. Il n'était pas question de décrocher ne serait-ce qu'un petit sourire à mon égard. J'ignorais quel était son problème, mais après, Djénaba m'avait fait savoir que son père pensait que je me croyais supérieure à eux juste parce que j'avais eu une éducation dakaroise. C'était bête, mais c'était vraiment ça son problème.
Djénaba - Et quand il était venu pour finaliser votre mariage à Mohamed et toi, et que kao Omar lui a demandé d'attendre encore deux ans, le temps de décrocher ton diplôme, ça l'avait vraiment énervé.
Que dire ? Le monsieur était tout simplement conservateur. Pour lui la place d'une femme est à la maison. Il ne comprenait donc pas pourquoi mes parents avaient accepté de me faire faire "l'école des blancs".
Quand je parlais, quelques fois j'utilisais des mots français et j'avais droit à un regard plein de reproches et de colère. Il croyait que je le faisais exprès, que "je les prenais de haut" alors que ce n'était qu'une question d'habitude.
Un jour j'avais perdu un mot pulaar, et tout naturellement j'avais dit : "Comment ça se dit encore ?", si néné Ouminatou l'avait pris sur la rigolade, c'était tout le contraire de kao Amadou. Il m'avait crié dessus d'arrêter de me prendre pour une toubab, que j'en n'étais pas une et que j'en serai jamais une. J'étais légèrement en colère qu'il m'ait crié dessus pour si peu. Mais comme c'était très mal vu de répondre à une personne âgée, j'avais juste baissé la tête en remuant ma colère.Le soir, néné Ouminatou avait pour habitude de m'apporter son téléphone : Mohamed m'appelait chaque deux jours. Nos appels ne duraient pas plus de deux minutes vu qu'on n'avait rien à se dire. Il me demandait ce que j'avais fait de ma journée et moi je lui expliquais rapidement, sans réel intérêt. Tout compte fait, qu'est-ce-que je faisais de bien intéressant pendant la journée ? Le ménage ? La cuisine ? Le linge ? Toutes ces activités me fatiguaient tellement que ma petite vie à la capitale me manquait plus que tout. J'avais pas l'habitude de sortir tous les jours pour aller au marché qui plus était assez éloigné du village. Mes mains n'étaient pas habituées à faire le linge chaque trois jours. Même si je le faisais bien, paraît-il, mes mains en souffraient et me démangeaient. Je croyais faire une allergie à l'eau de javel ou au savon en poudre, mais je n'osais rien dire de peur d'attirer les foudres de kao Amadou. Seulement l'eau froide m'aidait à calmer mon prurit.
Deux mois étaient passés depuis le départ de mon mari et je m'étais habituée à son absence. Du moins, je vivais tranquillement, je ne pensais même pas à lui. Néné Ouminatou était plus présente que ma mère, dans ma nouvelle vie. On s'était vraiment attachées l'une à l'autre et quand le soir elle était trop fatiguée pour me tenir compagnie, je me sentais très seule.