Chapitre 42

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Une demi-heure plus tard, je suis toujours assise sur la terre humide, adossée au tronc d'arbre renversé à moitié pourri. Certains sont dans l'espace qu'on a amménagé, d'autres sont partis pour essayer de nous trouver à manger ou pour fignoler la sécurité de la clairière. Avec ce qu'on a pu trouver, jante de voiture, boites de conserve, tout ce qu'il y a de plus bruyant quoi, on a fait un périmètre de sécurité : on les a suspendu aux branches et à des cordes attachées aux arbres. Ainsi, on sera immédiatement alerté si quelque chose, principalement un infecté, tente de franchir le périmètre. C'est une idée de Matt, il le faisait quand il était seul sur la route.

Maintenant, je comprends le sous-entendu du Dr Daniels quand il m'a dit que je comprendrais bientôt pourquoi il m'avait dit qu'il allait mourir. Mais il n'avait pas le droit de nous faire ça. Il nous a tous mis en danger, certains sont même morts par sa faute. Je sors le mot qu'il m'avait laissé et le relis pour la énième fois. Je le connais pour ainsi dire par coeur. Il a beau s'excuser dedans, je ne le lui pardonnerai jamais. Il est mort, mais ça ne change rien pour moi. Je ne suis pas hypocrite, je dis ce que je pense : il est con d'avoir agi comme ça.

C'est vrai, quoi : c'est quoi cette hypocrisie ? On ne peut pas faire pire à un mort que de ne dire que des choses bien sur lui alors qu'il avait des défauts. Je n'ai jamais compris ça. Ce n'est pas parce que quelqu'un est mort qu'il devient soudainement parfait ! La dernière fois que j'en ai parlé avec ma mère, elle avait presque eu l'air choquée. Elle m'avait dit que ça ne se faisait pas de dire de telles choses, ce à quoi j'avais répondu que c'était pire d'être hypocrite avec une personne à ce point. Après ça, on ne s'était pas reparlé jusqu'au soir. J'ai vraiment l'impression que personne ne comprend mon point de vue.

Alors que je continue de penser à ça, Edouard s'approche et s'accroupit devant moi.

"Dana ? Fait-il timidement.

- Hum ?

- Je me demandais si... t'aimerais bien... enfin...

- Si j'aimerais bien quoi ? je l'incite à continuer."

Il prend une inspiration. Je me retiens de rire devant sa mine si timide et ses manière si maladroites. Je sais déjà ce qu'il va me demander, je l'ai vu dès le début.

"Voilà, je me demandais si tu... accepterais... de... de sortir avec... moi."

Ça se voit qu'il a rassemblé tout son courage pour me le demander et que maintenant il le regrette, de peur d'essuyer un refus. Matt, de l'autre côté du foyer pour le feu de ce soir, à affûter un couteau, nous regarde d'un oeil discret.

Pourquoi refuser la demande d'Edouard ? Il n'a pas le pire des physiques et il a l'air d'être un gentil garçon.

"Oui, je réponds en souriant légèrement. Après tout, t'es peut-être ma dernière chance d'avoir un petit-ami, je vais pas refuser.

- Je me demande comment je dois le prendre, fait-il en levant un sourcil."

Je ris en me rendant compte de ce que je viens de dire.

"Excuse-moi, je peux pas m'empêcher de dire tout ce que je pense, j'ai la langue trop bien pendue. Ça me fait souvent défaut.

-Du moment que t'as répondu oui, tu peux dire tout ce que tu veux je m'en fout complètement, sourit le jeune homme."

Je souris aussi en me levant avec lui. Je l'embrasse doucement. A ce moment-là, je vois Matt se lever et partir. Je suis pas la seule à l'avoir remarqué : Emma aussi l'a vu faire.

"Je... je dois y aller, bafouille Edouard avec un geste en direction de la forêt. Je dois retourner aider Doug."

Je hoche la tête. Au moment où le jeune homme part, Emma me rejoint. Elle me regarde fixement.

"Quoi ? je demande au bout d'un moment.

- Alors comme ça, t'arrive à avoir un petit copain et à rendre un autre mec jaloux même pendant l'apocalypse. Pas mal, ajoute-t-elle avec un petit sourire en coin.

- Hein ? Mais qu'est ce que tu raconte ? Qui est jaloux ?

- T'as remarqué comme moi que Matthieu est parti quand t'as roulé une pelle à Edouard.

- Déjà, j'ai pas 'roulé une pelle' à Edouard, je la corrige, et s'il est parti, c'est parce qu'il avait quelque chose à faire, c'est tout.

- Comme tu voudras, déclare l'ado en haussant les épaules et en tournant les talons."

Les ados racontent n'importe quoi à cet âge-là. Vraiment n'importe quoi.

Bref. Quoi qu'il en soit, j'ai un petit-ami. Plutôt déplacé alors que j'ai décidé de m'éloigner des gens. Je ne veux plus être blessée par la perte de quelqu'un, et je ne veux blesser personne.

Mais pour moi, Edouard n'est qu'une 'distraction'. Je ne ressens aucun réel sentiment pour lui, juste peut être une attirance physique parce qu'il est pas mal, mais rien de plus. Je cherche seulement un moyen d'oublier tout ce bordel, un moyen de tromper ma raison en essayant d'avoir une vie un peu plus normale. Ce n'est pas faute que d'essayer, si ?

Malheureusement, si. Edouard m'aime vraiment, je joue avec ses sentiments. Je ne le devrais pas, et pourtant je le fais quand même. C'est peut-ête égoïste de ma part, mais chacun fait comme il le peux pour rendre cet enfer supportable.

Pour me changer les idées et pour ne plus réfléchir à tout ça, je décide d'aller faire un tour de garde autour du périmètre de sécurité.

Je longe les branches et les cordes, m'assurant que ça tiens bien. Mais, même en faisant ça, je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à la culpabilité que je ressens en me servant d'Edouard.

Un craquement de branche sur la droite me tire de ma rêverie. Je regarde dans la direction du bruit. D'abord, je ne voit rien. Puis un infecté apparaît entre les arbres et les buissons. C'est un homme vêtu de guenilles dont le visage a littéralement été rongé par la maladie. L'une de ses joues est tellement abîmée qu'il y a un énorme trou au travers duquel l'infecté y passe parfois sa langue.

Il s'approche dans ma direction avec un grognement dégoûtant.

Prise d'un soudain accès de colère, je passe sous la corde, sors mon couteau d'armée et marche d'un pas rapide, presque au pas de course, vers lui. Sans laisser au mort le temps d'esquisser le moindre geste, je lui plante mon arme dans l'œil. Il s'écroule au sol. Il gît inerte, l'orbite baigné de sang. Je me laisse tomber, un genoux à terre, et lui enfonce plusieurs fois le couteau dans le crâne avec force.

Je me relève recule un peu, le regard rivé sur ce que je viens de faire. Soudainement vidée de mes forces, je me laisse tomber assise à côté du mort et fonds en larme. Je m'allonge sur le dos et fixe le ciel à travers le feuillage.

Pendant plus d'une heure je reste ici, à pleurer toutes les larmes de mon corps, évacuant tout le stress et tout ce que j'ai accumulé depuis le début de notre expédition.

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