End Game (3)

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 — C'est un vrai ? demandé-je, moi-même étonnée par ma question.

Mais au fond de moi, j'ai besoin de la poser, le rectangle en papier entre mes mains paraît tellement irréel, que je dois savoir si ce n'est pas un faux. J'ai même peur de la lâcher, par crainte qu'il ne s'envole ou qu'il ne tombe ou même qu'il ne disparaisse.

— Oui, je ne sais même pas par quel miracle nous l'avons trouvé, avoue maman très fière d'elle ou de son cadeau – au choix.

— Vous êtes géniaux, affirmé-je en ne sachant définitivement pas quels mots peuvent être à la hauteur de ce que je ressens.

— J'aurais peut-être dû lui dire d'ouvrir le mien en prem's, parce que là, il va passer pour de la pâtée pour chien, remarque Arthur en brisant très clairement toute la discussion avec ses gros sabots.

J'aime mon frère, je ne dis pas le contraire, mais il n'est aucun feeling pour savoir que dire à quel moment, c'est quand même une horreur.

— Bon, tu l'ouvres, insiste-t-il à peine quelques secondes plus tard.

Je lui lance un regard l'air de dire, la ferme, mais il n'y prête absolument pas attention. Cette fois, plus pour lui faire plaisir qu'autre chose, je lâche le billet, en soupirant, tout en le glissant soigneusement dans mon portefeuille, pour qu'il soit le plus en sécurité possible. Et je commence à ouvrir le paquet cadeau, qui me paraît très franchement être un roman, je découvre sans étonnant, un livre de cuisine – en plus d'être lourd, Arthur n'a aucune originalité, c'est déjà la quatrième année de suite qu'il m'offre un livre de pâtisserie, à croire qu'il ne sait pas quoi m'offrir d'autre.

— Merci, Arthur, je n'avais pas encore « La Cuisine Du Monde » et ça me manque cruellement. Non, en vrai c'est vraiment gentil, me corrigé-je, n'ayant pas le cœur d'être méchante avec lui – en plus ça reste sympa, je suis certaine qu'il y a des frères et sœurs qui n'offrent rien.

Sans insister, je commence mon dessert. Après que nous avons tous terminé de manger, mon père se lève pour payer l'addition tandis que nous, nous avançons vers la voiture tranquillement. Nous sommes à peine dehors, que papa nous rejoint en quelques grandes enjambées qui lui sont caractéristiques.

— Tu es certaine que tu ne veux pas rentrer à la maison ce soir ? vérifie mon père – et c'est étonnement la première fois qu'il pose la question.

— Oui, il faut vraiment que je révise, j'ai déjà perdu beaucoup de temps, affirmé-je en montant en voiture.

— Tu pourras réviser à la maison, remarque ma mère – à noter que mes parents sont vraiment du genre à me détourner de mes révisions, plutôt que de m'encourager à revoir mes cours.

— Peut-être, mais ma voiture est à mon appartement, je ne vais pas vous faire lever plus tôt uniquement pour m'amener aux partiels, tenté-je pour mettre les cartes de mon côté – ils n'ont jamais apprécié faire des allers-retours pour rien, alors un argument simple.

— Je peux t'amener, tu sais ? Je voulais aller voir Gabrielle de toute manière et comme ça, je lui apporterai le petit-déj, remarque Arthur pour encore moins me faciliter le refus, tandis que mon père démarre la voiture.

Je comprends alors qu'ils sont tous les trois ligués contre moi – entre guillemets bien sûr –, pour que je rentre, à tous les coups, ils ont prévu quelque chose à la maison et il faut absolument que j'y sois – aucun doute, ils ne lâcheront pas l'affaire, autant céder directement.

— OK, mais si jamais j'arrive en retard à mes partiels, tu...

— Je me lèverai à six heures et demi, s'il faut, ne t'en fais pas.

Du coup, mon père ne tourne pas dans ma rue, mais continue sur la route jusqu'à la nationale qui mène chez moi. Et je dois tout de même avouer que je ne suis pas mécontente de rentrer à la maison, je suis forcée de reconnaître que même si j'ai un peu peur d'arriver en retard à mes examens – oui, il faut que je me détende, il n'y a presque aucun risque normalement –, ça fait du bien de rentrer.

Papa commence alors la conversation, sur le sujet le plus banal, et parfois même le plus ennuyant à mon goût, dans la famille : les animaux. Un peu blasée, je sors mon téléphone et mets un écouteur sur deux pour suivre un peu la discussion tout de même, avant de démarrer une musique, en mettant l'une des moins raisonnables de toutes : End Game de Her Majesty; une de leur musique un peu méconnue par rapport aux autres. Pour je ne sais trop quelle raison, c'est l'une de mes préférés, elle m'éclate vraiment à chaque fois. Pourtant, ce n'est pas leur plus joyeuse, au contraire, elle est presque inquiétante, mais les paroles sont belles, il faut juste ne pas faire trop attention à l'instrumental.

Dehors, je regarde le paysage, appréciant de voir de la verdure plutôt que les murs de la ville. Mais là, sur la route, dans une voiture, avec un temps presque orageux dehors, je vais finir par avoir franchement chaud dans ma veste, la climatisation n'est vraiment pas aussi efficace que dans le restaurant. Un peu déçu, je commence à enlever ma veste, mais avec ma ceinture, c'est carrément galère – surtout que je n'ai vraiment pas l'habitude d'enlever des vestes en voiture, il est déjà très rare que je sorte avec une. N'ayant pas trop d'autres choix, si je veux arrêter de suer, je me détache et presque au même moment, j'entends Arthur s'exclamer vraiment ravi en montrant un point non loin :

— Un éléphant !

Curieuse – surtout parce que ça fait un sacré moment que je n'en ai pas vu, même si je vis en Côte d'Ivoire –, je regarde la direction qu'il indique, oubliant quelques instants ma veste et la chaleur. Je découvre alors étonnée un éléphant qui est vraiment très proche de la route, il avance même comme s'il allait la traverser, il semble complètement en panique. Je ne m'inquiète pas qu'il traverse la voie devant nous – non il n'y a pas de risque, il avance trop lentement pour nous poser problème – ce qui m'inquiète principalement, c'est pourquoi il fuit sa forêt alors que ce n'est pas du tout un comportement normal, à tous les coups, il y a des braconniers à proximité.

— Putains de braconniers, jure mon père, exprimant parfaitement ma pensée – d'ailleurs, il est rare que papa utilise des jurons, il faut vraiment qu'il soit énervé pour s'en servir.

Je soupire, complètement désespérée, le braconnage, c'est une misère sans nom, pourtant personne ne s'en occupe. L'éléphant avance un peu plus et cette fois, il est sur la route, pas de notre côté heureusement. Mais en détournant mon attention de l'animal, je comprends alors ma grossière erreur. Il ne faut jamais se réjouir trop vite, puisque sur la voie où se trouve le pachyderme, roule un bus, qui va vite et qui n'est vraiment pas très loin.

Durant quelques secondes, j'ai peur pour l'éléphant, mais le bus se décale, pour foncer sur nous... Tout se passe alors très vite, le bus se place en travers de la route, je ne sais trop comment, tentant d'éviter l'animal, sans voir le poteau en face, et avant même que qui que ce soit réagisse, notre voiture rentre dans le flan du car. Je me fais aspirer vers l'avant, et sans même que je ne comprenne que rien ne me retient, je sens du verre exploser tout autour de moi.

La douleur m'envahit, j'ai l'impression que tout mon corps est coupé en petits morceaux, que ma peau s'arrache complètement. Je ressens presque tout de suite après un autre choc, plus violent, plus dur, j'entends mes os se casser, la souffrance est encore plus forte, plus puissante, elle m'envahit entièrement, puis je tombe, la douleur atteint son paroxysme. Et lentement, je sens la douleur partir de mon corps, j'atteins un stade de bien être presque inquiétant.

Her Majesty (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant