Waltz For Debrah (1)

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Sous les applaudissements de la foule, je quitte la scène au côté de mon frère, poings liés et levés. Dans les coulisses, nous nous faisons accueillir par une masse de gardes du corps, prêts à nous conduire vers la sortie. Une personne récupère ma cape, tandis qu'une autre pose un lourd peignoir sur mes épaules pour éviter que j'aie froid, maintenant que je ne suis plus sous le feu des projecteurs. Derrière moi, je sens la même agitation pour les autres membres du groupe et je connais suffisamment la procédure pour ne pas avoir besoin de vérifier, mais je jette tout de même un coup d'œil pour être sûre que tout le monde va bien.

L'homme qui a posé le peignoir sur mes épaules me conduit alors à travers les coulisses, tout en gardant une main dans mon dos. Cette fois, les longs couloirs sont déserts, silencieux et presque froids, j'ai l'impression que c'est un labyrinthe monstrueux que nous explorons à la lampe torche avant d'en trouver la sortie où l'air frais me brûle les joues. Dehors, quatre limousines noires aux vitres teintées nous attendent au milieu de quelques journalistes. Le garde du corps me fait monter dans la première et tout de suite, je me décale pour laisser une place à Warren qui arrive seulement quelques secondes plus tard.

Devant, je vois Dean, Ruth et Leroy monter dans une voiture chacun, où je devine déjà les ombres de leur famille. Dès que toutes les portières sont fermées, les chauffeurs démarrent et se suivent à la file indienne pour fendre la foule. Dès que nous atteignons la route, nous prenons tout un trajet différent pour aller exactement au même endroit au final et alors que par le chemin le plus court, c'est à cinq minutes. Bien sûr, mon frère et moi, nous n'avons pas la voie la plus rapide étant donné que nous devons faire croire aux journalistes que nous rentrons tous chez nous, alors qu'en réalité, nous allons chez Dean.

Quand nous arrivons devant chez lui, c'est dur de savoir si nous sommes les derniers ou non, il n'y a plus aucune trace des limousines qui sont passées par ici. Nous sortons rapidement de la voiture, accueillis par l'air froid, et nous avançons vers la grosse maison de brique, à l'angle de la rue, à peine à quelques mètres de là où nous avons été déposés. Nous venons tout juste de franchir le portail, lorsque la porte s'ouvre sur Becky pour nous laisser entrer, nous ne nous laissons pas prier, ravis d'être à nouveau au chaud.

À l'intérieur, il ne manque que Ruth, qui ne devrait maintenant plus tarder. Warren s'installe dans le canapé d'angle et moi je prends simplement place sur l'un des tabourets près du comptoir, étant bien plus proche de la cheminée ici, que là-bas. Mon amie débarque à peine une minute plus tard, avec son mari, mais pas son fils, il doit déjà être en train de dormir chez eux, ce qui explique sans doute leur « retard ». Ruth s'assoit alors juste à côté de moi et Scott se pose sur la dernière place libre, à proximité.

— On s'ouvre une bouteille de champagne pour fêter ce petit concert ? demande Dean en se levant pour aller vers la cuisine.

— Je vote pour ! Tu en as du bon j'espère ! s'exclame Warren ravi, en se levant pour le suivre.

— Je sors les verres ? proposé-je étant donné que je suis l'une des plus proches de la réserve de flûtes, au niveau du comptoir.

Becky approuve et me remercie. Je prends alors sept coupes et les dispose de manière à ce qu'elles soient remplies facilement. Les garçons reviennent avec une bouteille de champagne ainsi qu'une de bière.

— Si tu veux Ruth, Becky t'a acheté une bière sans alcool, déclare Dean.

— Je veux bien oui, merci beaucoup.

— Tu veux un verre ? vérifié-je même si je me doute qu'elle va boire au goulot, comme à son habitude.

Et j'ai raison.

Dès que les flûtes sont pleines, je ne m'amuse pas à faire la distribution, je m'en prends juste une, les autres ont des jambes, ils peuvent se lever pour aller chercher à boire.

Le temps passe alors très vite, tandis que nous parlons de n'importe quoi – n'abordant qu'une ou deux fois le sujet du concert qui vient d'avoir lieu –, à rire et à s'alcooliser. À force d'enchaîner les flûtes de champagne et peut-être aussi de rigoler, j'ai trop chaud et j'ai besoin de prendre l'air. Prétextant d'avoir envie de fumer ,alors que je n'ai pas de pipe sur moi, je sors, cette fois j'accueille ravie l'air frais de début d'été, étant parfait lorsqu'on bout. Je marche un peu dans le petit jardin avant de finir par me poser contre le portail de fer froid, admirant la rue, qui est agréablement vide, malgré le fait que nous sommes en plein cœur de la banlieue londonienne et qu'il n'est même pas encore vingt-trois heures.

Je suis même presque étonnée quand j'entends des talons claqués dans l'avenue, au point que je me retourne pour voir qui arrive derrière moi. Même si l'éclairage est un peu faible, je reconnais la personne, c'est la jeune femme que j'ai appelée Débrah, celle qui s'était perdue dans les coulisses du Wembley.

Je suis plus que surprise de la revoir ici, n'ayant strictement aucune idée de comment elle a pu me retrouver. Bon, je deviens peut-être paranoïaque, c'est possible, mais quelles sont les probabilités pour que la même personne se « perde » dans les coulisses du Wembley, jusqu'à tomber sur moi, puis que plusieurs heures plus tard, se retrouve, par hasard, dans la même rue que moi, alors que je suis seule dehors.

— Qu'est-ce que tu fais là ? demandé-je presque agressive, craignant que ce soit une journaliste.

J'espère très sincèrement que ce n'est pas le cas, parce que j'ai très légèrement été trop gentille avec elle tout à l'heure – je ne sais même pas ce qui m'a pris – et les journalistes adorent sauter sur les occasions pour manipuler.

— J'étais juste en train de me promener. Je peux te retourner la question, remarque-t-elle, avec un léger accent de je ne sais trop quel pays, peut-être la France, que je n'avais pas encore remarquée.

— Qui es-tu ? l'interrogé-je au lieu de répondre à sa question.

— Déborah Sekongo, je ne veux rien de mal, je suis qu'une simple fan qui se balade, dit-elle presque penaud.

J'ai presque envie de lui rire au nez, comme si une personne sensée allait croire une chose pareille. Mais je la crois, il y a quelque chose de sincère dans ses yeux, en plus de quelque chose d'autre, peut-être de la tristesse, et pour ça, je veux croire en la bonté humaine. Après tout, personne n'a jamais dit que j'étais quelqu'un de sensé et je n'ai jamais encore envoyé bouler une fan dans la rue.

— Tu veux un autographe ? finis-je pas la questionner, voyant qu'elle reste là, plantée, à ne rien faire, pendant plusieurs secondes.

— Non, je n'ai rien pour l'écrire.

J'ai toujours un stylo sur moi et si elle pouvait savoir le nombre d'endroits improbables sur lequel j'ai déposé un autographe, elle serait sûrement impressionnée. Et encore, j'ai, mentalement un peu plus de mal à faire une signature sur la peau de quelqu'un, c'est parfois un peu gênant, mais je peux assurer que Warren est sans-gêne pour ce genre de chose.

— Sûre ? insisté-je n'arrivant pas à bien comprendre son comportement.

— Certaine. Je peux te poser une question ?

Je hoche la tête, espérant que ça ne la révélera pas journaliste.

— Pourquoi avais-tu demandé que les gardes me remettent au premier rang ?

Je réfléchis quelques secondes, tentant de trouver une réponse logique et sensée, mais je n'en trouve pas, alors je tente la carte de la vérité :

— Honnêtement ? Je n'en ai aucune idée, ça me paraissait être la chose à faire.

— Merci alors, je n'aurais jamais pu assister au concert sans ça, je dois avouer que j'ai perdu mon billet...

Je laisse échapper un petit rire, c'est sans doute la première fois que quelqu'un arrive à perdre un billet à presque trente livres.

— J'espère que le concert t'a plu alors, remarqué-je, décidant de ne pas être regardante, de toute manière, ce qui est fait est fait.

— Oui, j'ai adoré, surtout votre nouvelle musique : Don't Try Death; elle est magnifique, vraiment un joli tango.

Her Majesty (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant