Chapitre 2 : Prédiction dangereuse

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Le trajet pour rentrer chez elle s'était passé comme tous les jours. Maddie croisa quelques personnes, quelques fantômes la saluèrent, quelques jeunes se moquèrent. Rien de bien inhabituel dans la vie de l'adolescente.

Maddie rentra enfin chez elle, le seul endroit sur terre où elle se sentait à sa place.

Son père sortit de la cuisine au pas de course pour l'accueillir. Il la serra dans ses bras et l'embrassa sur le front avant de la regarder le sourire aux lèvres.

- Bonjour ma chérie, comment se sont passé les cours ?

Maddie ne répondit pas. À la place elle afficha une moue dubitative et haussa les épaules.

- Oh, je vois. Dans ce cas tu seras ravie d'apprendre que se soir nous mangeons italiens ! s'enthousiasma Bill. Au menu pour le dîner : pizza ! Ça te va ?

Un hochement de tête souriant et Bill repartit presque en trottinant derrière ses fourneaux.

Bill Cameron était un homme enjoué et souriant. Il voyait constamment le verre à moitié plein et faisait toujours de son mieux pour s'occuper de sa fille. Il était chaleureux, aimant et la seule personne sur terre qui arrivait à lui arracher un sourire.

Au début, tout allait bien dans leur famille, mais quelques jours après la naissance de Maddie, sa mère avait quitté la maison sans un mot ni un regard en arrière. Elle avait disparu du jour au lendemain sans explication, sans prévenir. Enfin, l'adolescente se doutait que la jeune femme avait dû laisser une lettre à son époux avant de disparaître sans laisser de trace, mais elle n'en avait jamais parlé avec lui et n'en avait aucune envie.

Maddie en voulait beaucoup à sa mère de les avoir abandonnés et ne voulait plus entendre parler d'elle. Pour la jeune fille, Calice Cameron était morte le jour où elle avait pris la décision de partir sans jamais revenir.

Ce fut vers l'âge de sept ans, alors que les autres enfants se moquaient de Maddie parce qu'elle n'avait pas de mère qu'elle avait demandé des explications à son père. À cette époque elle était encore une petite fille pleine de vie, une enfant ordinaire, presque comme les autres. Mais quand Bill lui avait expliqué que sa mère était partie, même les mots les plus doux du monde n'avaient pu la consoler. Elle avait alors perdu toute joie de vivre et s'était muré dans un mutisme grandissant, rejetant jusqu'aux souvenirs de sa mère.

Ce fut aussi à cette époque que Maddie avait commencé à faire des cauchemars qui se révélaient bien trop souvent véridiques. Elle commençait à parler a des gens qu'elle seule voyait, répondait avant même que les gens ne posent de questions et semblait toujours savoir ce que les autres pensaient. Le harcèlement qu'elle subissait à cause de l'absence de sa mère redoubla de violence alors qu'elle semblait de plus en plus étrange au monde qui l'entourait.

Bill s'était renseigné et avait découvert que sa fille était médium. À dix ans il lui avait demandé de ne dire à personne ce qu'elle voyait, ce qu'elle entendait, que ce devait demeurer un secret entre eux seulement.

Puis à treize ans, elle n'affichait plus aucun signe de joie ou de colère. Les paroles des gens glissaient sur elle comme l'eau sur les plumes d'un canard. Elle aidait aussi la police locale quand celle-ci pataugeait à trouver la moindre piste. Elle les guidait sur la bonne voie, faisant de la police de la ville la plus efficace du pays.

Pourtant l'adolescente ne demandait jamais rien en retour. Elle expliquait à qui voulait bien l'entendre ce qu'elle voyait et se retirait chez elle pour reprendre sa vie avec son père. Il était le seul à qui elle offrait des sourires, le seul avec qui elle s'autorisait à être un peu plus humaine. Le seul qui comptait pour elle.

Maddie se dirigea, au premier étage. Une fois dans sa chambre, elle jeta son sac sur le lit et arracha de son cahier la page contenant le croquis du garçon aux yeux couleur ciel. Elle accrocha ensuite le papier sur le mur au-dessus de son bureau, au milieu de nombreux autres dessins. Sur le mur s'étalait des centaines d'illustration, des visions qu'elle avait eues et qu'elle collectionnait.

Il y en avait de toute sorte. Des images macabres en passant par des dessins abstraits comme des illustrations merveilleuses. Certains plus précis que d'autres. Bill avait déjà essayé à plusieurs reprises de convaincre sa fille de les retirer du mur, au moins celles représentant ses pires cauchemars. Mais à chaque fois il s'était heurté à un mur. Maddie refusait catégoriquement d'enlever ses dessins. Pour elle, ces dessins étaient comme un exorcisme, une manière de rejeter ce qu'elle voyait et ce qu'elle ressentait sur le papier sans toutefois le renier. Elle savait qu'elle était différente et elle l'acceptait. Renier sa nature n'aurait fait que la faire souffrir d'avantage, alors elle avait décidé d'évoluer avec ce don étrange, quitte à devenir une jeune fille muette solitaire.

Son père avait donc fini par abdiquer, sa fille était aussi bornée que sa mère.

Maddie se détourna du mur et s'enferma dans la salle de bain où elle prit une bonne douche avant de se changer et de redescendre juste à temps pour voir son père sortir la pizza du four. Une merveilleuse odeur flottait dans toute la pièce, faisant saliver l'adolescente. Accoudée au bar séparant la cuisine de la salle à manger, Maddie souriait en regardant son père. Bill rayonnait de joie, comme à chaque fois qu'il cuisinait pour lui et sa fille chérie.

- Tu prends les couverts ? demanda-t-il tout sourire.

Maddie hocha la tête. Elle sauta du tabouret où elle se trouvait et prit les couverts qu'elle porta à table alors que son père apportait la pizza.

Le dîner se passa dans la joie. Bill raconta à sa fille sa journée avec ses collègues excentriques avec lesquels il s'amusait beaucoup. Elle l'écouta en silence, heureuse de voir son père aussi épanoui malgré le manque qu'avait laissé Calice Cameron en partant.

Maddie connaissait bien ses collègues de travail. Elle les avait vus une fois alors qu'elle s'était rendue au bureau de son père. Le pauvre avait oublié ses clés et avait demandé à sa fille de les lui apporter en catastrophe. Il s'était alors confondu en excuse et l'adolescente s'était contenté de lui prendre la main et de la serrer. Bill avait alors souri à sa fille et l'avait pris dans ses bras. Mais Maddie avait décidé de ne plus y retourner. Les collègues de Bill avaient beau être gentils et attentionnés, l'adolescente sentait bien qu'elle les mettait mal à l'aise. Ses silences et ses regard perçant avait souvent fait fuir les autres et elle ne voulait surtout pas que son père en pâtisse.

À la fin du repas, Maddie s'empressa d'aller se brosser les dents. Demain avait beau être une journée de cours aussi ordinaire et ennuyeuse que la veille, elle ne voulait pas se coucher trop tard.

Bill s'était installé sur le canapée du salon et regardait la télé. Maddie embrassa son père et lui souhaita bonne nuit.

Mais alors qu'elle partait, son attention se retrouva soudainement happée par la télé. Un homme politique parlait devant un pupitre, mitraillé par les photographes. Son nom défilait sur une banderole colorée au bas de l'écran : ministre de la justice et de l'éducation Angus Hobbs. Grand, la peau pâle, le ministre arborait une moustache bien taillée et un costume trois pièce sobre. De petites lunettes carrées glissait sur son nez aquilin alors qu'il parlait avec ferveur aux journalistes devant lui.

Les yeux de l'adolescente se perdirent alors dans les images défilantes. Bill s'approcha, inquiet. Il reconnaissait l'expression que la jeune fille n'avait que trop de fois affichée.

Maddie pointa alors un doigt vers la télé. Au même moment, l'écran afficha un gros plan du visage du ministre.

- Lui.

- Quoi ? questionna Bill. Qu'est-ce que tu vois ?

- Il va mourir.

- Quoi ? s'étrangla-t-il en se tournant vers l'écran.

La télé affichait à présent des images du ministre circulant dans la foule entourée de ses gardes du corps. Le sourire aux lèvres, il serrait des mains et saluait la foule qui l'acclamait. Tout au fond, loin derrière la foule se dressait un homme à contre-jour. Il était impossible de voir son visage, pourtant Maddie était certaine qu'il fixait le ministre qui s'en allait.

- Demain, aux alentours de dix heures, cet homme va se faire assassiner.

Médium (en chantier depuis 2018)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant