Chapitre 12 : Isidore

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Une semaine avait passé.

Maddie s'habituait doucement à son nouvel environnement. Elle avait rencontré beaucoup de monde depuis son arrivée. Sidonie et Carmen passaient beaucoup de temps avec elle, si bien que Maddie avait la sensation que les deux jeunes femmes la prenaient pour leur petite sœur.

Elle se réveillait souvent tôt, regardant par la fenêtre d'un air distrait la ville endormie. L'adolescente se demandait souvent comment allait son père. Les gens du Centre lui avaient assuré qu'il allait bien et qu'il se trouvait encore à l'hôpital où il guérissait doucement. Pourtant la jeune fille ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. Ils avaient beau lui dire que Bill allait bien, ils refusaient toujours qu'elle lui rende visite. Elle comprenait le fait qu'elle doive rester en sûreté, que, quelque part au dehors du Centre, le médium qui cherchait à la tuer attendait patiemment qu'elle sorte dehors pour l'attraper – même si dans son esprit cette scène ressemblait plus à celle d'un dessin animé qu'à la réalité – mais Bill lui manquait terriblement, elle voulait le voir, le rassurer.

Son gardien était souvent présent à son réveil, parfois il se tenait même au bord du lit, comme pour s'assurer qu'elle allait bien, comme une piqûre de rappel pour lui signifier que sa vie avait complètement basculé dans la folie. Elle en venait même à se demandait si le lycée avait remarqué sa soudain absence. C'était possible, même si elle en doutait. Elle était si discrète que les professeurs avaient de nombreuses fois oublié jusqu'à sa présence dans la pièce.

Maddie se sentait mieux. Ses blessures étaient presque toutes guéries. Le docteur Jefferson avait pu retirer son attelle la veille et ses ecchymoses se résorbaient déjà. Ses coupures n'étaient plus qu'un lointain souvenir, fines cicatrices qu'on discernait à peine sur sa peau claire. On lui avait assuré que dans un mois tout au plus, elle n'aurait plus aucune marque.

Restait sa tête. Le docteur insistait pour que l'adolescente vienne tous les jours à l'infirmerie. Il disait qu'il voulait surveiller l'évolution de la plaie, mais Maddie savait qu'il voulait surtout s'assurer qu'elle ne manquait de rien. Lors d'une visite précédente, elle l'avait entendue penser qu'il trouvait étonnant que la plaie cicatrise si bien et si vite. Elle avait vite compris que son gardien, qu'elle retrouvait souvent penché au-dessus d'elle le matin, n'y était pas pour rien.

Le docteur Jefferson avait été heureux de constater que, plus les jours passaient, plus l'adolescente muette se mettait à parler. Elle ne se dévoilait pas encore totalement et se méfiait encore de la plupart des gens du Centre, mais elle progressait.

Ce jour-là, Maddie descendit à l'étage où travaillait le docteur. Elle croisa quelques personnes, puis s'engagea dans le couloir de l'infirmerie. Elle passa la porte en silence et retrouva l'immense salle aux murs blancs. Quelques infirmiers la saluèrent avec le sourire, elle leur répondit timidement d'un signe de la tête. Tout le monde était si gentil avec elle, elle n'avait pas l'habitude.

La jeune fille se dirigea vers le bureau de Jefferson et ouvrit la porte. Elle découvrit alors le docteur en pleine discussion avec son neveu. Tous deux se tournèrent vers Maddie. Le silence pesa un moment. Le regard de l'adolescente coula jusqu'à l'avant-bras du garçon. Isidore suivit son regard et rabaissa vite – trop vite – sa manche. Il détourna le regard.

- Tu devrais...

- C'est bon, coupa Isidore en prenant sa veste.

Il l'enfila à la hâte et passa à côté de Maddie. Ils se regardèrent un instant, plongés dans le regard de l'autre. Puis il se détourna et s'éloigna à grands enjambées en direction de la sortie.

- Isidore ! appela Jefferson en se relevant derrière son siège.

Il l'ignora et l'adolescent disparut en claquant la porte de l'infirmerie derrière lui. Maddie laissa son regard se promener là où Isidore avait disparu, puis se tourna vers le docteur. Jefferson soupira, se laissant choir dans son siège. Il retira ses lunettes et se frotta les yeux. Il se souvint alors de la présence de Maddie et reposa bien vite ses lunettes sur son nez avant de ranger son matériel.

- Je t'en prie, entre Maddie.

L'adolescente hésita un instant, puis entra dans la pièce en fermant la porte derrière elle. Elle s'installa sur le siège juste en face du bureau et attendit patiemment que le docteur ait finit de ranger. Il se tourna alors vers elle.

- Comment te sens-tu ?

- Mieux.

Un fin sourire ébaucha les lèvres du docteur.

Maddie ne put s'empêcher de se retourner, comme si Isidore allait resurgir dans l'infirmerie. Jefferson suivit son regard et soupira.

- Ne t'en fais pas pour lui, affirma-t-il alors qu'elle se retournait vers lui. Isidore a toujours été un enfant solitaire, la mort de ses parents n'a fait qu'accentuer ce côté de sa personnalité

Maddie fixa un moment le docteur. Le silence commençait à se faire pesant.

Jefferson s'activait déjà. Maddie laissa couler son regard sur la fiche qu'il noircissait de mots presque illisibles. Une vision la frappa alors. L'espace d'une fraction de seconde. Elle vit des larmes couler, du sang ruisseler sur la peau claire d'un avant-bras, et le regard bleu brouillé de larme d'un petit garçon en deuil. Il n'en fallait pas plus à Maddie pour comprendre. Les marques qu'Isidore avait tenté de cacher, ces vieilles entailles qui ne semblaient pas vouloir guérir, c'était ça, la douleur et la tristesse qu'elle avait vu dans ses yeux. C'était pour cette raison que le regard bleu de sa vision semblait si triste. Même après des années, il refusait de faire son deuil. Il n'acceptait toujours pas la mort de ses parents.

Maddie avait de la peine pour lui.

L'adolescente attendit patiemment que le docteur finisse d'écrire son rapport. Elle le vit le ranger dans un dossier avant de lever les yeux vers elle.

- Alors, qu'est-ce qui t'amène ? Il me semble que notre rendez-vous de routine n'est pas avant quelques heures.

Maddie s'empourpra. Jefferson était très doué, il n'avait pas besoin de dons surnaturel pour deviner les intentions de ses patients. Dans un sens, elle lui enviait cette faculté. La jeune fille n'avait jamais su comment se comporter avec les autres. Elle mit un moment avant de se souvenir du pourquoi de sa visite.

- Je me demandais...

Elle se retourna encore une fois, puis, tout en triturant le bout de la manche de son pull, elle poursuivit :

- Est-ce que je peux aller à la bibliothèque ?

- Bien sûr, tu n'as pas besoin de demander la permission pour ça.

- D'accord.

Maddie se leva et approcha de la porte. Sa main resta en suspend au-dessus de la poignée. Elle se tourna vers le docteur, ouvrit la bouche, la referma. Elle finit par ouvrir la porte.

- Maddie.

Elle se retourna.

- Tu me promets que tu garderas pour toi ce que tu viens de voir ?

L'adolescente l'observa un moment avant de hocher de la tête.

- Merci, sourit le docteur.

Maddie le regarda un instant avant de se détourner. Elle sortit alors du bureau et referma la porte derrière elle.

La jeune fille se dirigea ensuite dans le couloir. Postée devant les ascenseurs, sa main resta en suspend au-dessus des boutons. Après un moment d'hésitation et un rapide coup d'œil alentour, elle appuya sur le bouton pour descendre.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent.

Médium (en chantier depuis 2018)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant