Chapitre 6 : Je vous avais prévenu

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Le jour qui suivit fut aussi ennuyant que les précédents. Une journée de cours ordinaire et sans saveur.

Maddie avait passé la matinée à dessiner et le restant de la journée plongée dans ses pensées. Elle avait hâte de quitter l'école et de rentrer chez elle. Pendant la pause, elle se réfugia entre les rayonnages silencieux de la bibliothèque de l'école. Plongée dans un bon livre, elle laissa le temps filer jusqu'à ce que la cloche sonne.

Sur le chemin du retour, l'adolescente avait l'impression que quelque chose n'allait pas. Il y avait quelque chose d'étrange qui flottait dans l'air. Ses doutes se confirmèrent quand, devant sa maison, elle remarqua une voiture noire qu'elle n'avait encore jamais vue. Elle tourna la tête en direction de la maison et remarqua la présence de deux autres personnes en plus de son père. Leurs auras étaient étonnamment sombres, comme en deuil.

De toute évidence, ils étaient revenus.

Maddie se dirigea d'un pas traînant vers la porte d'entrée et pénétra dans la maison en silence. Elle alla directement dans la cuisine où l'attendaient trois hommes installés autour de la table devant une tasse de café encore fumante. Bill offrit à sa fille son doux sourire alors que les deux autres hommes restèrent de marbre, le regard morne et le visage sombre. Elle avait vu juste, les deux agents se trouvaient bien là, et vu leurs mines déconfites, Maddie en conclut qu'ils avaient failli à leur tâche.

- Tu peux venir un moment ? l'invita gentiment son père.

Le regard de la jeune fille passa de Bill à la présence qui venait d'apparaître dans un coin de la pièce. L'être de lumière se tenait là, juste derrière Bill, affichant sourire rassurant à la jeune fille, comme pour l'inviter à se joindre au groupe autour de la table.

L'adolescente ne se donna même pas la peine de les saluer. Elle déposa son sac au pied de sa chaise et s'assit à table. Le silence était lourd sur la pièce, presque douloureux, même pour Maddie.

C'est alors que l'agent Colman fit glisser une photo sur la table devant la jeune fille. Maddie la regarda un instant. La photo était celle du corps sans vie du ministre Hobbs. Un point rouge se trouvait au milieu de son front. Une balle avait, de toute évidence, traverser la tête du ministre. Maddie se dit alors que l'arrière de son crâne devait être sacrément amoché. Mais ça ne lui fit rien. L'agent espérait sans doute lui arracher une grimace de dégoût ou des sanglots, peut-être même un cri de stupeur. Mais il n'obtint rien. Rien de plus que le silence persistant de l'adolescente qui resta de marbre. Maddie avait vu des choses bien pire dans ses rêves tout au long de ces années. Le sang, la mort, tout ça ne l'atteignait plus.

Sa prédiction s'était donc réalisée.

Les ennuis viennent de commencer, songea Maddie.

Devant le manque évident de réaction de l'adolescente, l'agent Colman prit la parole. Les yeux humides, les dents serrés, il semblait avoir de la peine à contenir les émotions qui ravageait son âme. Maddie les entendait très distinctement, ses pensées. Elles s'infiltrèrent dans la tête de la jeune fille, lui vrillant presque les oreilles de leurs plaintes. L'homme semblait très douer pour intérioriser. Mais pour une extralucide comme Maddie, entendre ses pensées refoulées était encore pire que s'il avait crié juste à côté de son oreille. Les gens qui se contenaient comme lui étaient des bombes à retardement que seuls les médiums pouvaient percevoir. Les cris de douleurs de Colman rebondissaient dans le crâne de la jeune fille comme un écho sans fin. Il lui fallut un moment pour se concentrer et se replonger dans sa coquille, loin des pensées extérieurs.

Quand le silence se fit enfin autour d'elle, Maddie s'autorisa enfin à souffler et plongea son regard dans celui de l'agent Colman.

- Cet homme, grogna-t-il d'une voix rauque en écrasant son doigt sur la photo, était mon ami. Il laisse une femme et un enfant dévastés qui cherchent à comprendre pourquoi on l'a tué.

Maddie regardait, impassible, l'agent Colman. Elle essayait de repousser les pensées des agents qui se heurtaient à son esprit comme les vagues sur la falaise. Elle prit alors le temps de l'observer plus attentivement. Il avait mauvaise mine, il ne devait pas avoir beaucoup dormit la nuit dernière.

- Pourquoi êtes-vous ici ? questionna-t-elle en massant ses oreilles endolories.

Le silence retomba comme une massue sur les occupants de la pièce. Les agents en restèrent bouche bée. Comment une enfant de son âge pouvait-elle rester si froide et indifférente dans une situation pareille ? Ils n'en crurent tout simplement pas leurs yeux. Puis, doucement, la surprise laissa place à la colère et l'amertume.

- C'est tout ce que tu as à dire ? grinça l'agent Colman.

- Je vous avais prévenue, dit-elle simplement.

Les agents manquèrent de s'étrangler. Bill les regardait avec inquiétude. À tout moment il s'attendait à voir l'un d'eux se lever pour empoigner sa fille et la secouer dans tous les sens. Maddie avait beau paraître insensible, elle restait une adolescente, une jeune fille. Et Bill ne permettrait pas qu'on menace son enfant.

- Tu insinue que c'est notre faute ? s'emporta l'agent Grant.

Elle tourna son regard glacé vers lui. Il pâlit.

- Je vous ai averti, annonça-t-elle froidement, j'ai transmis le message. Vous avez choisi de perdre votre temps en recherches ou l'avez tout bonnement ignoré. Vous êtes seuls fautifs. C'était votre responsabilité de veiller sur le ministre, pas la mienne.

Le ton cinglant qu'elle avait employé glaça le sang du jeune agent qui se calma tout de suite. Elle était incroyablement froide et son regard se faisait lourd de reproche. Il préféra détourner les yeux. Elle reporta alors son attention sur son supérieur. Elle ne prit même pas la peine de reposer sa question, un seul regard suffit à Colman pour comprendre qu'elle attendait une réponse. Elle n'en démordrait pas, peu importe ce qu'ils pouvaient bien lui dire.

Alors il prit sur lui. Il se contint de cracher sa rage et son amertume au visage de l'adolescente. Il comprenait son point de vue. Elle les avait avertis, elle leur avait dit que le ministre allait mourir, mais ils avaient ignoré son message. S'il y a quelques jours ils doutaient de ses dons de médium, à présent ils ne pouvaient plus en douter : Maddie Cameron n'était vraiment pas une adolescente comme les autres.

Il soupira.

Reprenant doucement contenance, Colman rangea la photo dans sa poche avant d'expliquer le plus calmement possible :

- Mes supérieurs ont insisté pour vous mettre en sécurité.

- Comment ça ? s'inquiéta Bill.

L'agent chercha ses mots un moment. Il semblait hésiter, comme s'il doutait de ce qu'il devait vraiment faire. Puis il continua.

- Il semblerait que les auteurs de l'assassinat du ministre aient entendus parler des dons de votre fille. Par conséquent, le premier ministre et le président, se sont mis d'accord sur la mise en place d'une sécurité renforcée autour de votre famille. Aussi, un agent devra toujours être présent auprès de vous et de votre fille à chaque instant.

Bill regarda sa fille, inquiet. Maddie ne réagit pas. Elle se contenta d'acquiescer d'un signe de tête. Elle comprenait tout à fait la décision des supérieurs de Colman, même si elle trouvait ridicule de mettre en place de tels dispositifs autour d'eux. Maddie et son père n'existaient pas aux yeux du monde, ils n'étaient que des gens ordinaires qui vivaient dans une petite maison dans un quartier tranquille. Elle ne voyait vraiment pas qui pourrait se donner tant de peine pour les atteindre eux. Elle n'avait fait que transmettre un message, pourquoi voudrait-on la tuer pour ça ? D'autant plus qu'elle n'a pas empêché l'assassinat puisque le ministre, conformément à sa prédiction est mort ce jour-là.

Maddie se leva alors, reprit son sac et, après avoir dit au revoir aux agents qui la regardaient ahuri par son manque de réaction, s'enferma dans sa chambre. 

Médium (en chantier depuis 2018)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant