les cris flous

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C'était une fille floue.
Elle faisait sûrement partie d'un autre monde, un autre univers qui l'absorbait. Quand les gens la voyaient il sentaient l'orage, la violence, la vulgarité de ce qu'ils ne comprenaient pas.
Et puis moi, je voyais le ciel, immensité aussi complexe que fascinante. Elle était comme un nuage qui volait au dessus de nous, qui cherchait sa place sur terre sans jamais la trouver.
Elle avait l'âme vagabonde, l'océan dans les yeux, un cœur en vrac. Les gens la trouvaient étranges, ils ne la comprenaient pas, comment pourraient-ils, elle était tellement libre, tellement dingue, tellement entière. Ça surprenait, de voir tous ces sourires sur le même visage, tous ces éclats de voix dans la même bouche. Mais elle avait aussi le vent en elle, une tempête qui la terrassait, alors elle était devenue floue.

Les échos du silence s'amenuisaient en sa présence, les paroles sourdes se répondaient. Avec elle, la beauté ne se voyait pas, elle s'entendait, s'étendait, se répandait.
Elle déambulait dans la rue, comme une âme volante, comme une douce mélodie de printemps.

Elle c'était abattue sur mon monde comme un cri sourd, ceux que je ne hurlais pas peut être. Elle était mon cri, enrobé de larmes et de déserts.

Je la voyais de ma fenêtre s'assoir sur l'herbe sèche de sa maison. Elle pleurait souvent, peut être plus que le nuage qu'elle était, elle criait contre la foule, les gens, les emmerdes, les cœurs secs, les parfums sans odeurs, le monde sans couleurs dans lequel on l'avait balancé.
Mais pourtant les couleurs en elle se bousculaient, elle avait ses propres étoiles pour l'illuminer ; son cœur, une girouette qui vacillait, me pointait quelques fois avant de se détourner. Par peur, par manque d'audace, qu'est ce que j'en sais...

Pourtant ce dont je suis sûr c'est qu'être avec elle c'était comme être en osmose avec la pluie, vivre de liberté, de légèreté, mais il y avait toujours cette humeur triste, cette brume humide avec elle, je suppose que ça la protégeait. D'elle même ou des autres aucunes idées. Elle était un peut trop cassée, trop vivante, trop humaine, avec tous ces sentiments qu'elle trimbalait derrière elle.

Je passais mes journées à la regarder du haut de ma fenêtre, à observer son âme en rogne. On ne se retrouvait que lorsque la nuit nous prenait dans ses bras. On partait avec nos vélos, on roulait jusqu'au matin, sans bruits, sans tempêtes, sans cris. Je crois que ça nous faisait du bien. Ces silences ou on ne comprenait rien et tout en même temps.
Je me laissais aller avec cette pluie, cette vague anéantie, ce nuage, cette brume, cette fille floue qui m'avait enfin rendu réel.
On s'abandonnait avec les astres, sous la nuit énigmatique qui nous regardait de ses milliers d'œil. Les pieds dans le lac, les mains entrelacés, le ventre pété de rire et de larmes fantômes.

Je crois qu'on n'a jamais pu être amis pour ça. Parce qu'on était des âmes sœurs, des âmes bouffées jusqu'à la moelle, explosées jusqu'au cœur, mais à nous deux on n'était plus en morceau, elle n'était plus floue, je n'étais plus un cri. On était plus que deux jeunes qui s'aimaient. Qui s'adoraient. Des pieds à la tête, de l'esprit au cœur, de nos démons à nos anges, de notre vide à notre tout, de nos défauts à nos qualités, de nos forces à nos faiblesses. On prenait tout, même le pire, le mauvais, la merde qu'on laissait à chaque pas, les casseroles qu'on se traînait, les larmes qui nous noyaient sans pouvoir en mourir, mais surtout la vie, les rires, les cœurs entiers, les sourires, le bonheur cuivré par le soleil.

Et la seule chose que je demande désormais c'est de vivre dans la catharsis incessante que nous avons créée. Que l'arc de cupidon pointe mon cœur à chaque regard échangé avec elle. Ressentir l'âme du ciel entre ses mains, ses baisers, ses danses étoilées. Qu'on me laisse me réveiller sous les projecteurs de ses sourires et nager dans les eaux flous de son quotidien.

Et puis bientôt on regardera loin, et on verra le rien à combler. Mais on n'aura plus peur. Parce qu'on aura laissé nos cris flous au passé.

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Musique : Up, up & away - Chance Peña

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TEXTE - Le vent du printempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant