58. Don't look back in anger

65 11 53
                                    

            Nous sommes assis sur le dernier banc de l'église. Emma à ma droite, Will à ma gauche. A part eux, je ne connais personne ici, et personne ne nous connaît. Nous avons donc cherché à être le plus discret possible, par respect. Mais ça aurait été impossible pour moi de manquer les funérailles de Rana.

La cérémonie s'est fait tout en douceur. Il y avait des fleurs partout, des chants mélodieux et des discours magnifiques. Les membres de sa famille ont décrit une Rana pétillante, généreuse, volontaire, toujours prête à aider les autres, et très indiscrète. Une femme qui croquait la vie à pleine dent et qui était heureuse. Sur son cercueil a été déposée une magnifique photo d'elle où elle sourit à pleines dents. Les enfants présents ont déposés des petites bougies tout autour.

Je l'imagine porter une robe magnifique. Je l'imagine sourire. Je l'imagine heureuse.

Au premier rang, sa mère est effondrée dans les bras de son mari. J'ai le coeur lourd de tous les voir dans cet état. J'imagine leur rage. Une jeune femme de même pas 25 ans assassinée. Leur fille, assassinée. Je sais ce que c'est que de perdre un enfant. Mais si Astéria avait été tuée par quelqu'un, je crois que je n'aurais trouvé le repos qu'en tuant en retour cette personne.

72 coups de couteaux. Il l'a poignardée 72 fois. Quand j'ai appris le nombre, j'ai eu envie de vomir. Ce n'était pas accidentel, il l'a tuée bel et bien volontairement. Il devait y avoir dans ses mains et ses gestes une rage... La rage de ne plus contrôler la situation. La rage qu'une femme veuille quelque chose que lui ne voulait pas. Sous ses airs de beau jeune homme charmant, Hélios était en réalité un immonde personnage, un monstre. Et tellement dangereux... Mais personne n'aurait pu le dire. Ce n'était pas affiché sur sa tête. Notre société patriarcale crée des monstres extrêmement bien dissimulés. Et je trouve ça effrayant.

Moi, je ne pleure pas. Je ne pleure pas parce que je me dis qu'au moins, maintenant, elle ne souffre plus. Elle n'aurait jamais du être enfermée dans cet enfer. Elle n'aurait jamais du mourir de cette façon. Mais la réalité est que c'est arrivée et qu'elle devait tant souffrir physiquement et psychologiquement. Et aujourd'hui elle est forcément plus heureuse qu'elle ne l'était. Aujourd'hui, elle est apaisée, et en paix. J'ai beau ne pas pleurer, j'ai terriblement mal. Emma et Will me tiennent chacun une main, et je ne peux m'empêcher de les serrer très fort constamment.

L'église est loin d'être remplie, la famille de Rana et ceux qui la connaissaient, ou simplement ceux qui ont eu envie de venir, ne sont pas nombreux. Mais ils sont extrêmement touchants. Ils expriment une grande sincérité. Ils débordent d'amour aussi, c'est évident. Ils se soutiennent dans cette épreuve assez particulière. Ils n'en veulent pas à Rana de les avoir abandonnés, ils ont certainement compris qu'Hélios la manipulait.

L'homme d'église finit son dernier discours et nous invite à nous lever pour venir bénir le cercueil. Je me lève en même temps que tout le monde mais je sors.

J'attrape une cigarette et je laisse mes pensées divaguer. Avant la fin du mois j'aurai déménagé à Lyon. J'ai rapidement pris ma décision, parce que l'une des dernières choses qui me retenaient à Saint-Biers était Rana... Maintenant je n'ai qu'une envie, rejoindre ma famille. Will le sait et l'accepte. Une relation à distance ça peut ne pas être si mal. Et je garde espoir qu'un jour il me rejoigne lui aussi et que nous prenions un petit appartement tous les deux. J'ai hâte de retrouver Samaé. Elle me manque tellement. J'ai beau l'appeler tous les soirs, ce n'est pas comme passer du temps avec elle. Cette enfant est d'une intelligence et d'une perspicacité étonnante. Ses sorties inattendues me manquent. Son humour me manque. Ma fille me manque. Comment j'ai pu envisager de vivre loin d'elle tout ce temps ? J'ai été obnubilé par mes problèmes, mon deuil... Je vivais avec les morts en oubliant les vivants... Je m'en rends compte aujourd'hui. Et même si cette étape était nécessaire pour aller mieux, je suis heureux d'en être enfin sortie. Et il y a eu Rana ensuite... Mais tout ça, c'est fini. Je ne sais pas ce que je ferais une fois dans cette grande ville. Je ne pense pas que les études ce soient mon truc, j'ai mon bac et c'est déjà énorme. Je vais certainement reprendre un petit boulot. Et pourquoi pas me lancer sérieusement dans la musique. Suzanne m'a relancé par rapport à sa proposition de duo il n'y a pas longtemps, pourquoi pas l'accepter. J'ai beaucoup de mal à me projeter dans le futur mais une chose est sûre, mon avenir ne peut être que plus radieux que mon passé. De plus, une fois arrivé à Lyon, j'ai décidé que je me ferai aider par un psychologue, alors même si nous ne sommes à l'abri de rien, il y a bien plus de chance que tout aille bien à partir de maintenant. Oui. Tout ira bien.

Des Cendres sous les CieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant