Chapitre 2 : Une étoile

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« Il faut que t'en parles car c'est en train de te bouffer de l'intérieur. En fait, non. Depuis des années tu es rongée. Mais plus que personne, je peux aussi comprendre que t'aies aps envie de te confier. Il faut que tu saches que je serai toujours là pour toi et surtout à jamais prêt à entendre ce que tu veux me dire. ». La voix de Nabil résonnant dans les oreilles de Tarik le fit ouvrir brusquement les yeux. Il était trempé de sueur. La cage thoracique serrée, il ressentait cruellement ce manque d'air frais qui possédait ce pouvoir de le calmer.

Soudain, Tarik tourna la tête vers sa droite, côté dont elle dormait toujours. Elle ne s'y trouvait pas. Nouvelle bouffée de chaleur. Où était-elle ? Que faisait-elle et surtout, se sentait-elle en sécurité ? La mauvaise intuition qu'un lion poussait aussi ressentir se révéla encore plus forte que d'habitude.

De manière inexpliquée, Tarik sentait quand elle n'allait pas bien. Il avait la sensation des larmes qui coulaient sur ses joues, des hauts-de-cœur qu'elle subissait et les mains moites dans ces instants.

Ces moments. Autant mettre un nom dessus. Les crises d'angoisse. De panique, d'anxiété. Qui s'enclenchaient sans prévenir. Enfin, ce que les gens lambda trouvent comme excuse pour ne surtout pas en déterminer les causes et aider l'autre. Comme toutes, elles se couvaient. Cependant, quand elles explosent, les dégâts peuvent être autant nombreux que destructeurs.

Tout à coup, Tarik se leva, l'esprit encore embrumé mais paradoxalement plus clair que jamais. Il savait où elle se trouvait. Elle ne devait pas y être depuis très longtemps puisque les draps de son côté étaient encore chauds de sa présence.

Dans la baignoire, Tarik entendait l'eau couler, le bruit du petit chauffage qui fonctionnait et les touches du clavier. Également, il commença à entrapercevoir la lumière discrète et tamisée sous la porte. 

Lorsque des événements comme celui-ci se déroulaient, tout était toujours brouillon. Était-ce vraiment la réalité ou Tarik se trouvait-il dans un cauchemar ? Les nuits étaient courtes, le sommeil aucunement réparateur puisqu'en plus, ce dernier mettait du temps à venir et s'installer. Puis, lorsque c'était le cas, il était entrecoupé de réveils oppressants. Pour elle et Tarik, il fallait des semaines à s'en remettre.

Cette nuit-là, dehors, il gelait. Tarik le savait d'instinct. Un fauve ne s'acclimatisait pas à une terre froide et hostile qui ne nourrissait pas les siens. Il posa son front contre la fenêtre frigorifiée de la baie vitrée du salon. C'était normal puisqu'ils n'en fermaient jamais le volet. Cela avait été l'une de leur première discussion de nuit dans le bus, celle qu'ils laissaient toujours une fenêtre ouverte, comme un échappatoire pour ne pas se sentir enfermés, oppressés. La liberté est précieuse.

Un soir, Tarik avait trouvé sa femme sur le canapé du bus, plaide sur le dos et grande tasse de tisane dans les mains. Or, la vision n'avait rien d'idyllique. Elle affichait des yeux fatigués, vides : « Ken rappait : « Voix et poitrine compressée ». Si je peux me permettre de préciser, c'est plutôt le plexus qui l'est, avec cette impression mortuaire que tes poumons sont tellement écrasés que tu ressens les dernières flammes de survie s'éteindre. ». Elle savait, alors qu'elle n'aurait jamais dû.

Cette nuit-là, tout était mélangé. Pourquoi souffrait-elle d'insomnies et de ces crises ? Pour quelles raisons ? Quel en était l'élément déclencheur ? Il était impuissant à proposer des explications, autant pour elle que pour lui.

En effet, Tarik non plus n'expliquait pas les terreurs nocturnes dont il souffrait depuis tout petit. A dormir les poings serrés parce que juste en fermant les yeux, il pouvait voir ses démons. Apparitions soudaines, paralysantes, suffocantes. Ce froid glacial qui envahissait et paralysait.

« Je me souviens du froid. Des frissons. Des couvertures. Puis un jour, juste avant de partir, j'ai pu m'acheter une petite bouillote qui chauffait vite. Réconfortante. J'aime la chaleur. Comme si elle te prenait dans ses bras, t'enlaçait et te réconfortait. Et ce que j'aime le plus, c'est quand j'ai la sensation que du feu qui caresse mon dos. ». Dans les pièces où elle se tenait, il ne faisait jamais moins de 25 degrés, même si parfois, elle pouvait aussi se contenter d'une fraîcheur presque morbide.

Enfin, Tarik arriva devant la porte de la salle de bain. Il avait une envie incontrôlable de la fracasser, bien que tout d'un coup, il se souvint qu'ils avaient d'autres choses à régler que remettre une porte.

Alors, du bout de l'articulation de son index, Tarik toqua discrètement. Subitement, il entendit à la fois la fin du bruit des touches sur le clavier, le chauffage, l'eau et surtout le déverrouillage du loquet. Il savait qu'elle n'allait pas ouvrir la porte car il la voyait déjà callée dans un coin. Oreiller sur le dos, jambes allongées, il commençait à la connaître par cœur.

Ainsi, de la manière la plus délicate que Tarik pouvait le faire, il poussa la porte. Dans la salle de bain régnait une chaleur étouffante, caractérisée par la buée sur les vitres, les gouttes d'eau qui ruisselaient sur ces dernières et bien sûr les vapeurs blanches.

Elle n'était vêtue que du long peignoir violet en soie qu'il lui avait encore une fois offert. Elle était une étoile. Vagabonde, filante, brillante, tant d'adjectifs superflus quand elle était si bien connue par les personnes qui l'aimaient.

Comme il l'avait pu imaginer, elle écrivait. Elle exerçait cette activité tous les jours. Elle mettait parfois longtemps à s'y mettre mais lorsqu'elle était lancée, elle sortait des trésors inégalés. Pourtant, elle n'écrivait jamais sur une surface plane, alors qu'elle avait besoin de quelques affaires tels que ses fameux carnets, son pot à crayons et quelques feuilles volantes.

Cette fois-ci, elle était calée contre le meuble de l'évier avec comme seul confort un tapis sous les fesses. A sa gauche gisait une canette de coca et bien sûr à sa droite le petit chauffage rotatif. Dans ce cas-là, cela ne servait à rien de lui demander comment elle allait.

Elle venait de lever les yeux de son ordinateur. Comme Tarik les avait douloureusement imaginés, ils étaient lourds, fatigués, peinés. Au fond de lui, il savait qu'il n'arriverait jamais à accepter une de ces visions terribles de cette femme qu'il aimait. Elle avait les traits tirés, les mains qui tremblaient et le corps qui était prêt à lâcher. Ce corps qu'il savait chaud dont il avait envie de prendre dans ses bras pour lui prouver sa présence et surtout la réconforter.

Sauf que comme d'habitude, même s'il était torse et pieds nus et vêtu d'un simple short, des perles de sueur glissaient sur son front. Heureusement, grâce à ses racines algériennes qui faisaient de lui l'homme qu'il était, Tarik Andrieu arrivait à supporter la chaleur dans des pièces confinées.

Alors, Tarik feint d'abord de fermer la porte pour surtout prendre le soin de laisser une ouverture discrète afin de régénérer l'air et ainsi les esprits. Sans aucun jugement, il s'assit à côté d'elle.

Pendant que Tarik se mettait à sa hauteur, elle ferma son ordinateur qu'elle poussa plus loin. Puis, ils se scrutèrent. Enfin, presque en même temps, tandis qu'elle était en train de caler sa tête contre son épaule, il passa son bras autour de ses épaules pour le caresser.

« Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? ». C'était la meilleure question à lui poser, bien que Tarik commençait à sécher ses larmes. Cela lui brisait le cœur de la voir ainsi. Mais lorsque deux personnes s'engageaient, elles devaient aussi le faire pour les moments les plus difficiles.

Dans ces cas-là, Tarik avait envie de tout casser et détruire avec ses poings et ses pieds. Il se sentait impuissant en lui tendant cette boîte de mouchoirs. Il savait que cette dernière lui entraînerait des yeux gonflés, le nez rouge et les lèvres...

Ainsi, avant que cela ne se produise, Tarik se mit en face d'elle, les genoux pliés et mettant ses mains de part et d'autre de son visage. Puis, il lui embrassa le front et les mains, qu'il porta finalement vers son torse. Enfin, il ferma les yeux, pour lui transmettre les dernières énergies qu'il avait.

Aux noms des siens - PNLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant