Partie VII : Le monde chico - Chapitre 1 : Le monde ou rien

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Bastia. La maison, les racines, la Corse. Retour aux sources. Les frères Andrieu avaient beaucoup reçu de la part de leur père. L'éducation, l'amour filial qu'ils se portaient et notamment cette maison en pierre en haut des montagnes. Isolée de toute civilisation humaine mais entourée de la mère nature. La chaleur du soleil, le bruit de la mer, le souffle du vent et l'humanité des animaux. Cela faisait longtemps que Tarik n'était pas venu sur l'île de beauté.

Comme pour la précédente excursion qu'il avait décidée, cette déconnexion en Corse avait été organisée la veille. Là se trouvait un des énièmes avantages à bien gagner sa vie, celui de pouvoir toujours réserver un séjour au dernier moment. Depuis leur succès, les frères Andrieu se cachaient en première classe, même lors des vols nationaux. Avec elle, Tarik et Nabil embarquaient dans leur valise que le nécessaire. Un allé en voiture plus tard, ils étaient déjà installés dans l'avion.

Le vol dura environ une heure. Il était connu qu'elle s'endormait dans les transports, bercée et surtout plus que jamais couvée par le regard de Tarik. Puis, juste avant d'atterrir, elle ouvrit les yeux et Tarik ne put s'empêcher de sourire quand il la vit hésiter entre regarder le paysage à travers le hublot ou lui. Enfin, sur le parking de l'aéroport, ils trouvèrent la berline qu'il avait loué. Une fois dedans, ils oublièrent l'humanité vivant que trop vite. Ils avaient besoin de se retrouver tous les deux mais aussi personnellement. S'isoler, s'exiler, fuir. Ils n'avaient pas besoin de beaucoup se parler, surtout parce que depuis quelques temps, elle commençait à avoir envers Tarik des gestes d'affection de plus en plus marqués. Il aimait sa présence, douce, agréable à vivre, jamais contrariante.

Pendant le trajet, Tarik glissa ses doigts sous les siens en étant attentif sur la route, et la beauté sauvage qui s'offrait à eux. Le soleil, la mer, l'authenticité. Il était chez lui et par son statut, elle aussi à présent. Il tint à s'arrêter au village, où les anciens - à jamais marqués par leur accent corse -, l'appelleraient François jusqu'à leurs derniers jours. Sur l'Ile, il en était ainsi.

Pour Tarik, la Corse se définissait par les chants. Résonnants dans les églises, si forts et puissants que le soir où ils les écouteraient, elle en fondrait en larmes sur le dernier banc de la rangée de l'église, à droite de l'entrée. Les corses étaient fiers, pardonnaient mais n'oubliaient pas. Attachés à leur terre, leurs traditions et leur drapeau. Avec eux, c'était tout ou rien. Le monde ou rien. Chez la fratrie Andrieu, tout n'était qu'une question de résonnance.

Les femmes demeuraient à la fois belles, fières et prudes. Jamais elles ne quitteraient leur pays et leurs hommes. Elles se tenaient puissantes, parfois résilientes mais toujours honnêtes dans leurs paroles. Il y avait les expressions, la manière de vivre, entre terre, montagne et mer.

A perte de vue se dressaient les plages à sable blanc, chaud et collant à la peau, sans omettre la bise sifflotante, le temps de vivre, se retrouver, échanger et parfois comploter en secret. La Corse était à elle seule un hymne. Elle permettait à celles et ceux qui partaient de plonger au cœur de soi. Les jeunes écoutaient les plus sages pendant que ces derniers prenaient aussi le temps d'entendre les histoires de la jeunesse. En Corse, celles et ceux perdus dans leur vie reprenaient des forces en puisant l'héritage et l'énergie de l'Ile.

Intensité, fermeté et résistance. Tant de synonymes pour symboliser ce peuple à jamais insoumis et féroce lorsque l'un d'entre eux se retrouvait touché.

La Corse, c'est aussi une histoire de rédemption. Elle faisait accepter le passé puisque tournée vers l'avenir, en rappelant toujours qu'il ne fallait pas oublier qui l'on était et d'où l'on venait. Dans ce voyage, il y a aussi eu Porto-Vecchio, Bonifacio, Propriano, Cervioni et Ajaccio.

Ce coin de terre paradisiaque, notamment parce que la traversée en voiture pouvait se réaliser en environ quatre heures. Dans les parkings touristiques, ces éternels indomptés que sont les corses arrachaient avec vigueur et sans aucune hésitation les autocollants du département sur les plaques des voitures. Le soir d'après dans un élan audacieux entre les fous-rires, ils lançaient une pâte au plafond pour savoir si la cuisson est terminée.

En Corse flottait cette intemporalité. Pour se dépayser, il ne suffisait pas de partir loin, seulement par commencer à faire un voyage en soi-même. Cœur au départ brisé puis reconstruit de cette énergie. Il y avait les longues discussions, les pleurs et une certaine remise en question mais la Corse se dressait pour rappeler que ce voyage de la vie en valait honnêtement la peine d'être vécu.

Les copains, les frères qui viennent, repartent et chamboulent tout. Les souvenirs se construisent chaque jour dans le seul but qu'ils demeurent impossibles à classer. Que dire des crêpes cuisinées en même temps que les Canistrelli ? Tous ces moments vivaient en chacun, comme un trésor. En un an et même une semaine, la vie offrait des instants de répit, de paix et d'amour.

L'amour. Le vrai, l'unique mais celui qu'il faut entretenir, protéger, écouter. Les promesses d'elle et de Tarik, les yeux de l'un plongés dans les iris de l'autre. Ce serment de protection, de respect et de présence. Cette nouvelle vie à deux alors que ces êtres avaient toujours eu la suffisance de vivre avec soi-même. Cette nouvelle partie, ce nouveau chapitre, ce voyage.

Aux noms des siens - PNLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant