Partie XV : Cure - Chapitre 1 : Beaulieue

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« Tarik, il faut que je te dise quelque chose. ». Giorgiana venait de rentrer dans la salle de bain où il sortait tout juste de la douche. Pourquoi avait-elle choisi cet instant et endroit pour parler à son mari ? Il en fut surpris et d'autant plus quand il l'entendit prononcer cette phrase.

« Quoi ? », répondit Tarik avec un air boudeur et renfermé. En effet, il se souvenait parfaitement de la dernière évocation de cette déclaration, synonyme d'un bonheur éphémère.

« J'attends ton enfant Tarik. ». Giorgiana avait affirmé cela avec un ton si concret que Tarik ne douta même pas qu'elle ne pouvait lui mentir.

Alors que Tarik s'apprêtait à recouvrir sa barbe de mousse à raser, il jeta inopinément dans le lavabo la dose qu'il avait pourtant calculée pour ne faire aucun gaspillage. Bien qu'il habitait toujours dans cette beaulieue des Tarterêts, il ne souhaitait en aucun cas changer son éducation, notamment celle d'utiliser à bon escient tout ce qu'il achetait.

Tarik ne s'y attendait clairement pas. Il se retrouva ne sachant de quelle façon dos au lavabo, la serviette toujours enroulée autour du creux de ses reins et l'esprit qui ne répondait plus. Il ne parvenait plus du tout à réfléchir, perdant dans cet élan-là tout sens de l'orientation, de l'ouïe et de la vue.

Ce matin-là, tandis que Giorgiana et Tarik se préparaient pour descendre rejoindre Yanis et Inès dans le carré de verdure en bas du bâtiment pour fêter les un an de leur fils Adam avec toute la famille, les amoureux se retrouvèrent en une fraction de seconde complètement hagards et abasourdis.

« Tu mythonnes pas hein ?! Comment tu le sais ? Ça fait combien de temps ? ». Derrière son air reculé, Tarik avait en réalité de plus en plus de difficultés à cacher au fond de lui cette envie de hurler et sauter dans tout l'appartement. Ils allaient être parents pour enfin construire leur famille.

« Quel intérêt aurais-je de te mentir ? De toute façon, je ne sais pas le faire. Pas avec toi. Je le sais parce que depuis une semaine, je me sens différente. Comme habitée, presque possédée. ». Giorgiana était enceinte bien qu'elle avait peur de la grossesse et de la maternité. Cette situation était la preuve ultime que l'amour faisait réaliser bien des folies. Elle aimait Tarik et plus que sa vie.

« T'as fait un test ? ». Tarik n'en pouvait plus d'attendre. Il avait envie d'appeler Nabil, son père, Yanis et bien sûr de le hurler à toute sa bande. Il était fier mais il voulait en être certain.

« Non, pas encore. Si ça ne te dérange pas, je voulais qu'on découvre le résultat ensemble. ». Giorgiana n'eut même pas le temps de finir sa phrase que Tarik couru vers la chambre pour enfiler un jean et un sweat pour revenir dans l'entrée où il enfila ses baskets et son fameux bob, récupéra son trousseau de clés dans le sac de sa femme - par cette méthode, il était ainsi sûr de les retrouver -, lui fit un rapide baiser sur les lèvres et se retint de courir jusqu'à la pharmacie.

Autant à l'aller qu'au retour, Tarik aurait été incapable de raconter à Giorgiana quelles personnes il aurait éventuellement croisé. Il ne se souvenait de rien. Chaque nouveau pas lui faisait oublier l'ancien, sans pour autant ne vouloir effacer tout ce qu'il ressentait. Ces sentiments, émotions et sensations étaient indescriptibles, presque inexprimables. Identiquement au mariage, il fallait juste vivre cet événement pour comprendre son interlocuteur lorsqu'il en parlait.

Après l'officine, Tarik commanda dans une célèbre enseigne américaine de restauration rapide la glace favorite de la future mère de son fils. Il le savait, c'était instinctif, son intuition, un pressentiment. Cependant, son ange de l'épaule gauche réapparut brièvement pour lui dire de ne pas s'emballer puisqu'il subsisterait toujours des risques de faux-couches et tous ces maux... Tarik l'envoya royalement chi... sur les roses. Des fleurs, tiens. Un bouquet d'arômes blancs, pourquoi pas.

Ainsi, Tarik rentra chez lui les bras chargés de paquets. Giorgiana l'attendait sur le canapé avec l'une de ses jambes rebondissant mécaniquement par anxiété. Dans l'entrée et pendant qu'elle était en train de le rejoindre, il posa tout sur le sol, enleva ses chaussures et alla se laver les mains dans la cuisine. Il se pencha en arrière pour qu'elle continue à l'entendre : « Tu me connais, j'ai pris la rolls des tests. Tu sais, celui qui t'indique le nombre de semaines... ». Sans savoir la raison, il sourit. Il se remémorait parfaitement du fou-rire avec son frère quand pour la première fois, ils avaient vu la publicité à la télévision. La technologie pouvait être incroyable.

Puis, comme si cela ne suffisait pas, Tarik avait eu la prévoyance d'en acheter plusieurs de toutes marques, présentant chacun leurs caractéristiques. Ainsi, à peine il s'essuya les mains qu'il s'assit devant la porte de la salle de bain, dont Giorgiana la déverrouilla aussitôt. Il avait dû partir pendant environ une vingtaine de minutes et elle s'était forcée pendant ce temps-là de boire un demi-litre d'eau. Elle ne pensait qu'aux aspects négatifs de la grossesse, à savoir la prise de poids, les hormones en folie qui s'expriment notamment sur le visage et le haut du dos... Sans évoquer la rétention d'eau, les hémorroïdes. Elle avait bien l'intention de prendre entièrement soin d'elle. Elle ne voulait pas dégoûter son mari et encore moins qu'il prenne l'idée d'aller voir ailleurs. Le doute était l'un des pires ressentis dont elle pouvait être victime. Elle était loin de se méfier de Tarik mais il existait tellement d'histoires sur la tromperie pendant et après la grossesse qu'elle ne voulait pas que le malheur s'abatte sur son couple. Elle s'était toujours battu pour ce dernier et la volonté de rester désirable était une notion personnelle très importante pour elle. Certes elle allait porter la vie mais ne comptait pas se servir de cette excuse pour se laisser aller.

Elle pensa à tout cela lorsqu'elle rejoignit Tarik. A jamais à ses côtés, elle attendit donc la boule au ventre et à la gorge le résultat qu'elle trouva si narquoisement long qu'elle eut envie d'impatience de balancer l'indicateur à l'autre bout de la pièce.

Enceinte. Trois mois. Giorgiana et Tarik durent se pencher un peu plus sur l'objet afin d'être de nouveau assurés du résultat. Si les calculs étaient bons et tout se passait bien, elle allait accoucher en avril. Comme Nabil. Chez les Andrieu, il ne manquait qu'un double du cadet de la famille. Gentil, sensible, délicat, affectueux... De toute façon, Tarik n'avait toujours pu que trouver des qualités à son frère, même s'il pensait qu'il avait un haut taux de sensibilité.

Giorgiana et Tarik se regardèrent, jusqu'à ce qu'il prenne la parole : « Avant de partir, tu es d'accord pour en faire un autre ? De toute façon, t'inquiète aps, j'ai pris le stock en dévalisant la pharmacie. ». Aux derniers mots plaisantins de son époux, elle en prit finalement un fou-rire. Au départ, il pensa qu'il était nerveux car il était tout à fait conscient qu'elle craignait ce monde inconnu. Puis, lorsqu'il vit son sourire de bonheur qui ne pouvait tromper personne, mais aussi des larmes qu'il ne put identifier comme de la joie, du soulagement ou de la panique, il se dit que cette nouvelle aventure allait loin d'être de tout repos. Or, si la vie et Dieu leur envoyaient des épreuves, cela était forcément pour qu'elle et lui en ressortent plus forts.

Tarik ne put s'empêcher de regarder le ventre de Giorgiana. Ce dernier était plat, comme Tarik l'avait toujours connu. Pourtant, cela était sans compter la capacité mentale de son épouse à lui réserver de belles surprises. Effectivement, à peine quelques heures plus tard, elle affichait déjà une petite cambrure de femme enceinte.

Aux noms des siens - PNLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant