Partie XII : Morale 2 - Chapitre 1 : Diable

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« Cela fait un an que nous nous connaissons. ». Tarik avait déclaré cette affirmation de sa voix grave, celle qu'il prenait inconsciemment lorsqu'il avait un événement important à avouer à sa femme.

Assise en face de Tarik sur la banquette de la table du tour bus, elle releva la tête et les yeux vers lui. Elle était en train de tailler les tiges des deux roses qu'elle avait ramassées un instant auparavant. Tous deux s'étaient empressés de revenir se remettre au-devant du frais de la climatisation pour se retrouver.

Tarik se reposait, tandis qu'elle venait de sortir de la douche, le peignoir encore enroulé autour de son corps. Elle n'était toujours pas enceinte. D'un côté, elle ne le pouvait pas avec toutes ces émotions qu'ils avaient ressenties après neuf dates dans le mois.

Elle se tenait à leurs côtés, toujours et à jamais. Comme eux, elle était passée par plusieurs stades sentimentaux qui pourraient facilement se comparer à ceux des montagnes russes. Elle avait souri, pleuré, angoissé mais elle avait vécu. Elle était forte, belle, une guerrière.

Il ne restait plus que deux dates, au début du mois prochain. En réalité, tous n'arrivaient pas à le croire. Pendant des mois, cette tournée avait été minutieusement préparée, tout ça pour qu'elle se dissolve finalement comme peau de chagrin. Or, cela était de loin d'être les sensations qu'ils percevaient. Tous avaient profité chaque seconde du public qui chantait, dansait, aimait... Bien vivant, réel.

Le sept juillet, il avait été décidé par elle, Tarik et les frères Ordonez qu'ils s'envoleraient en Argentine. Durant cette année, elle et Tarik assumaient le fait qu'ils avaient beaucoup voyagés. Cependant, ces derniers étaient loin à prendre comme simples et anodines destinations de vacances. Non parce qu'à chaque fois, elle et lui se retrouvaient, découvraient et s'aimaient d'autant plus que la seconde précédente. Ils étaient attachés l'un à l'autre, très reconnaissants de leur couple.

« Oui, c'est vrai Tarik. Moi aussi j'y pensé mais je n'osais pas te le dire par peur que tu te moques de mon côté romantique et fleur bleue que je peux parfois avoir. Je t'aime tu sais. ». A chaque fois qu'elle prononçait cette expression, le cœur de Tarik vrillait. Dans sa vie, il n'avait jamais eu l'habitude de l'entendre... De plus, lorsque c'était sa femme qu'il le disait, le souffle de Tarik devenait court et ses mains moites. Lui aussi l'aimait, profondément et sincèrement.

En réponse, elle eut le droit au regard si profond de l'aîné Andrieu avec ses yeux qui transperçaient et dévoilaient tout. Ils s'approchaient de leur but final en effleurant leur rêve du bout des doigts.

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« C'est bon, tu es content, on peut embarquer maintenant ? Qu'on ne manque pas l'avion ! ».

« Mais frère, je te jure que cette carte, je ne l'avais pas. Elle est collector en plus, brillante. ».

Les chamailleries des frères Ordonez rappelaient à Tarik la relation fusionnelle, remplie de respect et de pudeur qu'il entretenait avec Nabil. Il lui manquait. En effet, quand les frères ne se trouvaient plus ensemble, il y en avait toujours un pour se sentir perdu.

« Attends mais déjà que je suis du côté couloir, je vais devoir d'autant plus te supporter ? ». Olivio venait de définitivement se rendre compte qu'il allait passer les treize prochaines heures à devoir écouter les commentaires de son frère sur l'un de ses plus grands centres d'intérêts, à savoir une célèbre série de jeux-vidéos japonais.

En les regardant, Tarik se remémora tous les moments qu'il avait partagé avec Nabil. A présent, l'aîné n'avait qu'une hâte, celle d'avoir également deux garçons qui s'entendraient aussi bien que les frères Ordonez et Akrour le faisait. Tous étaient fusionnels, presque siamois, inséparables. 

Tarik avait envie de créer avec elle ce noyau et cocon d'amour, qu'il voyait à présent comme la représentation la plus sérieuse de la famille. Ce contexte était indispensable pour un couple, surtout pour les enfants. Tarik savait que ce voyage allait le faire réfléchir sur cet aspect.

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« Le fernet. Bienvenue en Argentine ! ». Sur ses mots, Florian tendit à Tarik le verre d'alcool. L'ambiance était juste parfaite pour le déguster. Elle, Tarik, Florian et Olivio se trouvaient sur la place du village de leur père. Les aînés venaient de s'asseoir sur les marches devançant l'église pour reprendre leur souffle. Effectivement, avec elle et Olivio et face aux incitations des gamins, ils s'étaient engagés dans une partie féroce dans l'un des jeux de la kermesse. L'air était léger, insouciant et pur.

« Florian, peux-tu s'il-te-plait me dire ce que cet enfant veut ? ». Elle venait de s'approcher. Tarik était si profondément plongé dans ses pensées qu'il ne l'avait même pas vu venir. Diable qu'elle était désirable dans l'une de ses très nombreuses robes longues, son chapeau de paille et surtout ses pieds nus. Dans les bras, elle tenait un enfant comme s'il était sien. Tarik perdit pied.

« Entrer dans l'église avec toi. Avec moi. Et aussi avec toi Tarik. Olivio, tu nous rejoints ? ». Il ne manquait plus que cela... Sauf que Tarik ne pouvait faire que confiance à Florian sur son niveau d'espagnol. Alors, tous se levèrent en même temps et se dirigèrent vers l'entrée de l'église. Tarik n'y avait encore jamais mis les pieds. Non par irrespect mais par peur de mal agir.

L'atmosphère calme invitait aux recueil et prières. Pourtant, dans les maisons de Dieu, tout semblait aussi accueillir l'autre, qu'importe sa religion et couleur de peau. Tarik se savait impressionné.

Il faisait frais, aucun bruit ne se faisait entendre, la sensation était très spéciale, notamment lorsqu'elle s'approcha du bénitier. Dedans et du bout de ses doigts, elle y récupéra quelques gouttes d'eau  pour les poser sans hésitation sur le front de l'enfant en mimant le signe de croix. Puis, elle se le fit, jusqu'à ce qu'elle tourne la tête vers son homme et les frères. Son regard semblait traduire les mots qu'elle n'osait pas prononcer, à savoir qu'ils pouvaient se trouver ici.

Florian et Olivio n'hésitèrent pas une seule seconde à venir la rejoindre. L'un après l'autre, ils baissèrent la tête devant elle, surtout pour qu'elle ait facilement accès à leur front.

Comme à son habitude en la regardant agir, Tarik gardait pour lui tout ce qu'il ressentait. Il était bouleversé par les gestes maternels qu'elle avait envers cet enfant. Ce dernier était heureux, caressant son visage, l'embrassant sur la joue et se calant dans son cou.

Tout à coup, les jambes de Tarik décidèrent à son insu d'agir toutes seules. Sans lui demander son avis, elles réduisirent la courte distance qui le séparait d'elle. Une fois arrivé devant sa femme, il ne put s'empêcher de reproduire le geste que Florian et Olivio avaient réalisé.

Lorsqu'elle bénit Tarik, il eut la même sensation lorsqu'il priait Allah. L'amour n'était définitivement donc pas une histoire de religion. Il se caractérisait par des retrouvailles logiques entre deux personnes qui s'aimaient, et qui grâce à cela, avaient envie de construire plus, comme par exemple une maison et un foyer.

Lorsqu'elle eut terminé, Tarik ne put s'empêcher de l'embrasser sur son front. Pour lui, ce geste signifiait tout le respect qu'il avait pour elle et envers Dieu. Enfin, comme pour espérer un miracle, il posa sa main gauche sur le ventre de sa femme qui restait désespérément plat.

De son côté, elle paraissait toujours fuir le sujet... Alors qu'au fond, elle commençait tout juste à se faire à l'idée qu'elle pouvait tenter cette aventure avec l'homme qu'elle fréquentait. Afin d'y penser d'avantage, elle partit faire le tour de l'église avec le petit qui ne devait pas plus être âgé de trois ans.

Les trois hommes profitèrent de cette accalmie pour s'asseoir sur un banc. De nature courageuse, Olivio la brisa : « Avant d'accueillir un enfant, tu sais ce qu'un couple doit faire. ».

Bien sûr que Tarik en était conscient. Il ne la connaissait depuis un an mais il ne prenait aucun doute à réfléchir qu'elle était la femme de sa vie. Le mariage était sacré puisque ce dernier ne se célébrait qu'une fois dans la vie. Il pouvait aussi stipuler la naissance d'un enfant. Tarik était certain que c'était avec elle qu'il voulait passer le restant de ses jours. Après tout, ils n'avaient pas fait ces voyages pour rien. Chacun leur avait appris quelque chose.

Aux noms des siens - PNLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant