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Comme on l'avait prédit, mon cas ne passe pas prioritaire aux urgences de la région. Je regrette de ne pas avoir fui quand il en était encore temps. Au bout d'une heure, je ne tiens déjà plus en place sur ma chaise et arpente la grande salle d'attente comme si je découvrais le lieu à chaque passage. Mais rien ne change, hormis les nouvelles entrées de personnes souffrantes. La salle se remplit peu à peu sans sembler se vider en contrepartie.
Je capitule face à l'ennui et repose mes fesses impatientes près de celles de Kaya qui fait preuve d'une sagesse exemplaire. Ses longs cheveux bruns sont retenus en arrière lui permettant de lire sans être dérangée. Comme elle le fait habituellement au bord de la patinoire. Sauf que là, je suis présent et qu'elle semble l'avoir oublié. Elle est trop absorbée pour le concevoir. Nos échanges depuis notre trajet en voiture se résument à deux moqueries et une poignée de mots d'une banalité désagréable. Je ne suis même pas capable d'y remédier. Avec elle, je perds la dose de confiance qui me pousse à sauter le pas. C'est comme si Kaya effaçait ce super pouvoir en moi.
– T'es ma Kryptonite, lâché-je à voix haute.
Elle relève des yeux hagards sur moi pendant qu'un sourire tranche son visage avec harmonie.
– Mais encore ? rit-elle. Qu'est-ce qui fait de toi Superman d'abord ? Je te trouve très prétentieux !
Je rigole en même temps qu'elle. Ça y est la glace est brisée. Kaya place son marque-page et ferme son livre dans un geste très délicat. Je me penche légèrement vers elle afin de lui glisser à l'oreille :
– J'ai des super pouvoirs, chuchotai-je.
– Ah... Quels genres ? répondit-elle sur le même ton.
– Je peux parler à n'importe qui, n'importe où et n'importe quand sans gêne.
Je m'éloigne pour lui partager mon sourire fier. Elle hoche plusieurs fois la tête, puis plisse tout à coup les yeux.
– Bizarre parce que t'es pas très bavard avec moi.
Je tape sur mes cuisses réveillant quelques endormis de la salle.
– On en revient au début, m'exclamé-je. T'es ma Kryptonite !
– Tu devrais me fuir alors.
– Nan, j'crois que je suis plutôt un Superman sado-maso. C'est contemporain ! Comme si Clark Kent avait croisé le chemin de Christian Grey, tu vois ?!
Elle éclate de rire et je me contente de m'en délecter.
– C'est la première fois que tu me parles de littérature, j'aurais préféré que ce soit autre chose qu'une référence à 50 nuances de Grey.
C'est à nouveau à mon tour de rire comme une balle qu'on ne cesse de se renvoyer. J'adore la tournure que prend notre conversation. Je devine surtout au regard de Kaya qu'elle l'apprécie aussi. Elle enchaîne d'ailleurs :
– Mais, c'est vrai. J'ai remarqué que tu parlais toujours moins dès que j'étais là. La Moi de 13 ans en a beaucoup souffert ! avoue-t-elle en ne cessant de sourire. Si je suis ta Kryptonite, tout s'explique alors !
– Et la Kaya de 17 ans, comment elle le vit ?
– Plutôt bien, je crois. Elle est là avec toi... Prête à changer le destin. Tu as peut-être raison, le Superman de nos jours pourrait aimer la Kryptonite.
– Tu veux changer le destin d'un super-héros et c'est moi le prétentieux ?
Ses rires ravivent la pièce dont le silence est très lourd. Notre discussion nous permet d'échapper à l'ambiance glauque de l'hôpital. Elle la combat à coups de bonne humeur. Elle remplit aussi mon cœur, et mon corps, d'excitation toute nouvelle. Je n'ai pas besoin de mode d'emploi pour percevoir l'attitude de Kaya. En plus de lui plaire, c'est le cas depuis longtemps. Et il a fallu un tour aux urgences et une simple discussion pour le savoir. Après 4 ans.
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On My Way
Teen FictionDe nature farceuse, Nills croit immédiatement être victime d'un canular lorsqu'il reçoit un appel étrange, la nuit d'Halloween. Un cri strident puis soudain, des bruits sourds, des souffles saccadés et d'autres hurlements à couper le souffle. Le je...