POINT DE VUE
NILLS
***
J'adresse un dernier geste de la main à Nora et passe le pas de chez moi en me promettant de trouver ce qui la tracasse depuis la rentrée d'hier. C'est toujours aussi difficile de la voir dans ses jours « sans », ces jours où son passé remonte à la surface avec toute la violence des traumatismes qui l'accompagnent. Mais, peut-être n'est-ce pas aussi grave. Garrett est reparti à Seattle renouant avec son emploi du temps éreintant, Lieth a retrouvé sa routine à Phoenix et tous les autres ont également quitté Colhaw pour poursuivre leurs différentes études. Peut-être que ce n'est que la nostalgie qui la tourmente tant.
— Tu rentres bien tôt, remarque mon père de sa voix grave.
Je sursaute, peu habitué à une autre voix que la mienne chez moi. C'est un comble. Sur le canapé, il feuillette un magazine sportif avec un air profondément ennuyé alors qu'il adore pourtant connaître les dernières statistiques sur les moindres pratiques. Tout mon contraire.
— Le cours de chimie a été annulé, parait que la prof a accouché dans un couloir ce matin, raconté-je un peu horrifié. En tout cas, je lui souhaite pas quand on voit le nombre de fois où le sol est nettoyé.
Mon père ricane puis ferme son journal, décidé à parler. Pendant que je profitais de la semaine de vacances pour me détendre, lui a subi les conséquences médicales des fêtes et ça se lit facilement sur lui. Son visage est tiré de fatigue, son corps accablé par des douleurs silencieuses. Il fait un métier si physique que malgré sa pauvre quarantaine d'années, il parait en avoir dix ou quinze ans de plus.
— T'as combien de jours de repos ? m'intéressé-je en m'affalant à ses côtés.
— J'ai réussi à en avoir trois en permutant avec un collègue, dit-il soulagé avant de passer un bras protecteur autour de mes épaules. Comment tu vas, fiston ?
— La forme. J'étais content de revoir mes potes même si fêter avec vous aurait été cool. C'était pas trop dur à l'hosto ?
— Dur, je ne sais pas mais chargé, c'est certain.
Depuis toujours, mon père se comporte comme s'il faisait le métier le plus simple du monde. Mais, en tant que brancardier au service des urgences, il vit des choses intenses chaque jour. Je me souviens encore l'avoir entendu pleurer un soir alors que j'étais trop jeune pour comprendre ce qu'il y avait de si dur à pousser des brancards toute la journée. Puis, plus tard, j'ai très vite compris que c'était plus compliqué que cela.
— Rien de bizarre ou extravagant à me raconter ? Pas d'ados passés à travers une vitre cette année ?
Il sourit à ma référence d'histoire vraie qu'il m'avait partagée lors du dernier nouvel an. Les périodes de festivités ont souvent des issues tragiques dont il est souvent témoin, trop souvent. Aujourd'hui, il n'a pas l'air d'avoir grand-chose à me raconter mais il se met tout de même à me confier quelques anecdotes. Deux chevilles tordues mais plâtrées par un interne qui a fait un mauvais diagnostic ; un enfant qui a avalé un embout de fermeture éclair en pensant manger un bonbon... Et le plus grave, il le garde pour lui. Dans un coin de son cœur qui pourrit à force d'être noirci.
— Ton poignet te fait encore mal ?
Nous baissons les yeux en même temps sur mon attelle qui fait dorénavant partie de moi.
![](https://img.wattpad.com/cover/205121853-288-k64986.jpg)
VOUS LISEZ
On My Way
Novela JuvenilDe nature farceuse, Nills croit immédiatement être victime d'un canular lorsqu'il reçoit un appel étrange, la nuit d'Halloween. Un cri strident puis soudain, des bruits sourds, des souffles saccadés et d'autres hurlements à couper le souffle. Le je...