On My Way

- 42.2 -

La veille, le soleil était déjà couché lorsque Lieth est venu me chercher, ou me « kidnapper », et le soleil est déjà levé lorsqu'il me ramène. Une seule nuit est passée mais j'ai l'impression que c'était toute une journée tant elle était comblée. C'était une soirée mémorable, une qui nous gonfle de bonheur pendant des heures, des jours, voire des années entières.

Quand nos muscles ont commencé à s'engourdir, nous avons quitté le lieu désaffecté pour retourner chez les Gallagher en embarquant Maximilian, Kaya et Nash avec nous. Et quand nos corps et cerveaux se sont effondrés de fatigue, nous avons mis fin à la fête. Kaya a dû ramener Nashoba incognito dans sa chambre d'hôpital avant la première prise de tension, Maddie a eu peur de s'attirer des ennuis si elle rentrait après le réveil de ses parents, Max et moi devons nous reposer pour les prochains jours de stage hockey que nous supervisons...

Pour une fois, nous avons suivi notre raison même si nos cœurs auraient voulu poursuivre pendant des heures. Surtout le mien qui se comprime chaque fois qu'un de ces moments prend fin, sans doute par peur qu'ils ne se reproduisent plus jamais. Depuis la fin du lycée pour certains, nos vies ne font que s'éloigner davantage... Elles continueront de le faire dès l'année prochaine, lorsque nous quitterons tous, ou presque, cette ville. Un jour, l'une de nos soirées ensemble sera probablement la dernière sans que l'on ne sache et tout le reste ne sera que souvenirs.

Je crois que c'est ce poids qui me pèse et qui m'empêche d'avancer dernièrement. Depuis des années, je me suis évertué à vivre au jour le jour mais en grandissant, je me suis rendu compte qu'au-delà du moment présent, l'après comptait tout autant. Que restera-t-il de nous ? De moi ? Comment ma vie aura-t-elle compté ?

Épuisé mais pourtant bien éveillé, je pousse la porte de ma chambre et repère aussitôt les cadeaux posés sur mon lit. Une enveloppe d'abord sur laquelle est inscrit « Joyeux anniversaire fiston », signé de mon père et de ma mère qui préfèrent m'offrir de l'argent à dépenser pour ce qui me fera plaisir. Après la voiture, je n'attendais rien de plus de leur part. Je n'ai jamais rien attendu d'ailleurs, un simple souhait me suffit. Je suis déjà gonflé de reconnaissance lorsque je prends le deuxième objet, un grand rectangle serré dans du papier cadeaux aux motifs rênes et sapins. Je souris en le déchiquetant à toute vitesse.

Une vive émotion me serre l'estomac quand mes yeux se posent sur le grand cadre et sur la photographie en noir et blanc en son centre. Une femme, aux cheveux décoiffés, est allongée dans un lit en tenue d'hôpital ; elle tient dans ses bras un nourrisson dont on perçoit à peine les traits. Ma mère et moi... Je ne parviens pas à me détacher du sourire qui tire ses lèvres et de l'éclat dans ses yeux. Juste en dessous, sur la feuille blanche qui détoure la photo, je reconnais l'écriture de mon père : « Il y a 18 ans... ». 

Très vite, tout se brouille sous le voile de larmes qui me menace. Ému de voir pour la première fois de ma vie cette photographie, je le suis aussi du geste de mon père. Alors que j'étais persuadé de n'avoir aucun changement de sa part, au sujet de ma mère, il me prouve qu'il a entendu et qu'il a surtout écouté. Et, qu'il est capable de mettre de côté tout ce qui le retient depuis pour répondre à mon besoin. Ce n'est « qu'une » photo mais c'est, en vérité, bien plus. La prévision d'une blessure prête à cicatriser.

***

Les jours suivants passent et se ressemblent mais cette routine me convient. Je passe plus d'heures sur la glace que sur le sol et quand je ne suis pas en train d'apprendre le hockey à des petits, je laisse libre cours à ma puérilité auprès de mon groupe d'amis. Je fais ce que j'ai la sensation de ne pas avoir fait depuis des mois, je profite. Je lâche prise même lorsque l'angoisse et ses remises en question veulent reprendre le contrôle. Ça fait un bien fou.