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— Nills, s'il te plaît, m'interrompt-on tout à coup.

Je relève les yeux sur le docteur Beckergam qui, installé sur le canapé en face de moi, m'examine de ses prunelles vertes luisantes. Mais cette fois ce n'est pas de malice qu'ils brillent. Il semble interloqué par quelque chose. Or, je ne vois aucun problème dans ce que je viens de lui raconter sur mes loisirs. Il décroise ses jambes mais pince ses lèvres en même temps qu'il se penche en avant pour joindre ses mains. Son attitude me parait soudain intimidante ; j'ai la pénible impression d'avoir fait quelque chose de mal.

— Nous avions un deal tous les deux... Je te consacre une séance sur mes pauses et tu te dois d'être le plus honnête possible pour que l'on puisse avancer tous les deux, rappelle-t-il. Pourtant, je commence à croire que tu essayes de me berner depuis ces vingt dernières minutes.

Surpris par sa clairvoyance, je reste sans voix. Ce mec a des genres de superpouvoirs, sinon comment fait-il pour lire en moi avec tant de facilité ?

— Il y a quelque chose qui te préoccupes, tu le sais et je l'ai bien compris. Pourquoi tu ne m'en parlerais pas ?

— Vous n'aimez pas le skate ? dis-je pour me détendre.

Heureusement, Chris Beckergam est de ceux qui sont bons fervents de mes plaisanteries. Son ricanement retenu vient trancher le silence et brise un peu les cordes invisibles qui m'emprisonnent.

— Détrompe-toi, j'adore. Disons que si je voulais en entendre parler durant une heure, je me contenterais d'allumer la télévision sur une chaîne de sport.

— Je suis sûr que vous le faites jamais... Vous êtes plutôt du genre à aimer le golf ou le tennis.

Il lève un sourcil, l'air de dire « on en est là, vraiment ? ». Cependant, comme s'il aimait toujours me surprendre, il se dirige vers son bureau, fouille dans un tiroir et après un léger cri de victoire, me brandit un pin's dédié à l'équipe de basketball de l'Oregon.

— Raté, se moque-t-il en revenant s'asseoir. Nous pouvons mettre fin à mon interview pour revenir sur toi ?

J'acquiesce sans pour autant prendre la peine de dire un mot de plus car tout s'efface dans mon cerveau. Par quoi suis-je censé commencer ? Comment raconte-on sa vie ? Et qu'est-ce que l'on ne raconte pas surtout ? Je souffle, désemparé par ma médiocrité à me livrer.

— En fait, je sais pas quoi vous dire... J'ai des amis géniaux qui traversent leurs propres soucis, j'essaye d'être présent pour eux... J'ai une famille plutôt cool avec des sérieux problèmes de communication. Avec l'équipe de hockey, on est sur la bonne voie même si on a traversé des tensions et des frayeurs, décrété-je.

Alors que je suis assez satisfait de mes paroles, Beckergam, lui, secoue la tête de mécontentement. Comme si ce n'était pas ce à quoi il s'attendait. Mais, je n'ai rien d'autre à lui dire.

— Tu me parles des autres, pas de toi.

— Ouais, désolé. J'fais souvent ça, c'est plus facile, haussé-je les épaules.

— Pourquoi donc ?

Mon regard s'échappe du sien pour parcourir la pièce que nous occupons. Le froid de dehors est mis à mal par le chauffage à pleine puissance si bien que j'ai dû me débarrasser du pull que je portais en entrant. Mais cette enveloppe de chaleur crée une ambiance apaisante, comme si ce lieu nous assurait une certaine sécurité. Comme si l'on était sûr d'être rattrapés en cas de lâcher prise.

— Nills, m'interpelle-t-il. Pourquoi tu emploies le mot « facile », qu'est-ce qui l'est ?

— Je sais pas quoi vous dire sur moi, j'ai jamais su... Je sais pas qui je suis mais je suis sûr d'une chose c'est que mes proches représentent la meilleure partie de moi-même. Alors quand je parle d'eux, j'ai la sensation d'un peu parler de moi par la même occasion.

On My WayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant