– Chéri, viens t'asseoir avec nous, tu veux ?! m'invite ma mère sans toutefois me laisser le choix.
Voir mes deux parents ensemble chez moi, un samedi matin, m'a paru étrange mais avoir l'honneur de déjeuner avec eux était maintenant suspect. Je me suis attendu à une discussion sérieuse dès que je les ai retrouvés côte à côte au comptoir de la cuisine. Mon père a été le premier à crever l'abcès quand le silence entre nous est devenu est trop pesant.
– Nills, nous t'avons pris rendez-vous avec le Dr Bowen cet après-midi.
Je relève des yeux écarquillés sur eux, interrompant ma dégustation du délicieux plat préparé par lui. Tout à coup, il me semble amer.
– Pourquoi ? parviens-je à articuler.
– On s'est aperçus que tu n'avais pas fait ton point habituel après les vacances d'été, explique ma mère de sa voix la plus douce.
– Peut-être parce que ce n'est pas utile ?! J'peux gérer mes rendez-vous tout seul quand même, j'ai 18 ans.
– Pas encore...
– Oh, tu comprends ce que je veux dire ! Mais OK, j'irai, dis-je sans aucune once de sincérité.
J'ai d'autres projets pour mon samedi après-midi. Faire des kilomètres de route et discuter avec ma neuropsychiatre n'en font pas partie. Mais, je mens pour passer à un autre sujet de débat.
– Nous t'accompagnons, j'ai posé ma journée, souligne mon père strict.
– Évidemment, soufflé-je. J'peux savoir pourquoi ça vous préoccupe ? Y'a pas de problème, vous pouvez souffler !
– Nous n'en sommes pas aussi sûrs que toi.
– Vous ou toi, papa ? craché-je.
Ma mère soupire avant de passer une main dans ses cheveux courts. Je sais qu'elle appréhende une prochaine dispute comme nous en avons déjà connus, mon père et moi. Mais, j'étais plus jeune, con et ingrat. À cette époque, je lui en voulais de m'avoir fait neuro-atypique parce que je ne pouvais en vouloir à personne d'autre.
– Nous, le sauve-t-elle. On s'inquiète pour toi, voilà tout.
– Tout va bien.
– Nous savons comment tu t'es blessé le poignet, avoue mon père. Puis, en ce moment, tu cours de partout, tu ne tiens pas vraiment en place ou tu es très fatigué.
– Comment tu le saurais ? T'es jamais là.
Je m'en veux aussitôt d'avoir révélé le fond de sa pensée. Cependant ça me fait un bien fou de m'en être détaché. Juste un court instant. Après, la honte me submerge. Le Nills égoïste est de retour et je le déteste. Je ne prends même pas la peine de réfuter la première affirmation de mon père, je l'ignore plutôt.
– C'est nul de dire ça, pardon, grogné-je.
– Fiston, ce n'est pas parce que je ne suis pas assez à la maison que je ne fais pas attention à toi.
Je plante mes yeux dans son regard sincère. Ses iris translucides sont traversées d'une lumière émue.
– T'inquiètes pas, je sais ça...
Je ne le sais que trop bien. C'est justement un de mes éternels reproches mais cette fois je le garde pour moi.
– N'oubliez pas qu'au fond, derrière l'handicapé, y'a un ado qui a le droit de s'amuser, de faire des conneries, de bouger, beaucoup, au risque de se blesser. Ouais, ça arrive et c'est pas la mort !

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On My Way
Fiksi RemajaDe nature farceuse, Nills croit immédiatement être victime d'un canular lorsqu'il reçoit un appel étrange, la nuit d'Halloween. Un cri strident puis soudain, des bruits sourds, des souffles saccadés et d'autres hurlements à couper le souffle. Le je...